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Un temps pour tout | Michel Maillot | 2023

09/11/2025
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Illustration : Horloge analogique en laiton et argent © Wallpaper Flare – libre d’utilisation, domaine public | Source : wallpaperflare.com
Illustration : Horloge analogique en laiton et argent © Wallpaper Flare – libre d’utilisation, domaine public | Source : wallpaperflare.com

Un temps pour tout

23 octobre 1906, 10h30

La porte s’ouvrit en deux temps. Elle rĂ©sista mollement en frottant du bas sur le carrelage avant de cĂ©der. Pour cĂ©lĂ©brer sa victoire, la clochette fixĂ©e en haut, tintinnabula sa complicitĂ©. Mais il Ă©tait nĂ©cessaire de patienter un peu pour que la vision s’accommode Ă  la pĂ©nombre rĂ©gnant dans le magasin. Il faut dire que s’étalaient partout, un sacrĂ© fouillis de pendules, de montres de tous Ăąges, qui marinaient sur les Ă©tagĂšres en bois. Elles dessinaient, disposĂ©es en parallĂšle ou en perpendiculaire, un parcours tortueux faisant Ă©cho aux mĂ©canismes complexes qui composaient le corps des habitants lĂ©zardant sur leurs planches. Il y avait aussi contre le mur, l’air renfrognĂ© d’y avoir Ă©tĂ© remisĂ©e, une grande horloge Ă  l’ancienne qui jouait gravement du balancier pour se distinguer des tictacs agaçants de ses congĂ©nĂšres. La robe qui s’avança gracieusement dans un bruit incongru de frou-frou sembla attirer les regards circulaires de tous les cadrans sur son passage. Elle stoppa devant le comptoir oĂč un fatras d’outils de toutes tailles, des vis, des ressorts, des engrenages, se disputait la scĂšne Ă©clairĂ©e par une lampe dont l’Ɠil promenait sa curiositĂ© sur ce petit monde foutraque. DerriĂšre, assis sur son tabouret qu’il balançait dangereusement Ă  la limite de la rupture du centre de gravitĂ© de la construction, un jeune homme concentrĂ© s’affairait. Il n’avait mĂȘme pas entendu la sonnette. Quand il vit dans son champ de vision apparaĂźtre une main fine Ă  peine masquĂ©e par la mitaine en rĂ©sille, il sursauta. Le tabouret lança un cri d’effroi de ses pieds qui dĂ©rapĂšrent sur le sol ; la loupe monoculaire, jusque-lĂ  protĂ©gĂ©e, tomba de lĂ  oĂč elle Ă©tait coincĂ©e, rebondissant sur le bois qui couina sa dĂ©sapprobation. Enfin Ă©veillĂ©s au monde extĂ©rieur, les yeux du jeune homme croisĂšrent le regard noisette de la visiteuse. CaptĂ©s, captivĂ©s, subjuguĂ©s, ils firent le tour du visage pour contempler jusqu’au chapeau qui parachevait l’admirable. La plume discrĂšte rejetĂ©e vers l’arriĂšre donnait la touche finale au charme qui se dĂ©gageait sans modĂ©ration, mais sans dĂ©sir ostentatoire de sĂ©duire. Ils n’osĂšrent pas trop s’attarder sur la robe sage et serrĂ©e qui suggĂ©rait avec retenue la silhouette avant de revenir, un peu honteux de l’observation, se fixer sur ceux de la jeune femme. Le regard amusĂ© de celle qui n’avait rien manquĂ© de l’examen oĂč, semble-t-il, elle avait Ă©tĂ© reçue haut les yeux, le fit rougir jusqu’à la racine des cheveux. En retour, elle ne se gĂȘna pas pour scruter le visage juvĂ©nile tout en longueur de l’horloger. Des yeux qui tiraient sur le bleu clair, une fine moustache dont la discrĂ©tion accompagnait la blondeur pileuse des favoris de taille raisonnable, encadrant le tableau. La chevelure au ton paille parachevait le dĂ©cor dans un dĂ©sordre plus dĂ» Ă  l’oubli du peigne qu’à la rĂ©bellion capillaire. MalgrĂ© un certain laisser-aller, le rĂ©sultat ne manquait pas de charme, mĂȘme si intĂ©gralement involontaire.
Les salutations embarrassĂ©es prirent la suite du langage des regards pour se prĂ©senter comme il se doit. Suzanne Pairault, la jeune femme, demandait de rĂ©parer ou du moins comprendre pourquoi le mĂ©canisme de sa montre Ă©tait devenu muet. Elle retira une de ses mitaines, la posa sur le comptoir pour tendre l’objet qu’elle sortit de son sac Ă  Arthur Ruellan, le jeune homme, horloger de son mĂ©tier, qui lui faisait face.
C’était en apparence une montre Ă  gousset dont la taille se rĂ©vĂ©lait plus grande qu’à l’habitude. QualitĂ© et finition incroyables, ciselures prĂ©cises et dĂ©licatesse Ă©taient de mise. De nombreux boutons, interrogeant leur utilitĂ©, ornaient curieusement sa pĂ©riphĂ©rie. Sur le cadran, de multiples figures et des chiffres incomprĂ©hensibles. Plusieurs cercles qui se joignaient du centre vers l’extĂ©rieur semblaient indĂ©pendants les uns des autres.
— Qu’est-ce donc que cette montre bizarre ? Je n’en ai jamais vu de pareille, et que donne-t-elle ? L’heure ? Je ne distingue pas, dans ce cadran, les chiffres habituels. Et d’ailleurs, il y en a plusieurs des cadrans. Vous pouvez m’en dire plus ? questionna le jeune homme.
Suzanne prit un air embarrassĂ© et Ă©carta les mains en signe d’ignorance.
— Ă€ vrai dire, c’est un cadeau de famille. C’est un peu compliqué ; une invention de mon pĂšre. Normalement, le mĂ©canisme est toujours en action. Il doit y avoir quelque chose qui a sautĂ© Ă  l’intĂ©rieur ; elle s’est arrĂȘtĂ©e d’un seul coup.
Arthur fixa un instant la visiteuse, la mine dubitative, avant de reprendre.
— Tous ces boutons semblent fonctionner ; je ne sais lequel est le remontoir, mais si vous me dites qu’elle s’est bloquĂ©e subitement
 Sans doute devriez-vous vous adresser au constructeur ; je ne voudrais pas endommager ce qui vous appartient.
— Oui, je comprends, mais je suis bien loin de pouvoir leur demander ; la distance d’oĂč je viens m’en empĂȘche. On m’a chaudement recommandĂ© cette adresse, vos connaissances dans le domaine des montres et des dispositifs complexes
 Alors, je ne sais plus Ă  qui je pourrais faire appel, Ă  part vous.
L’air contrit de la jeune femme ne pouvait que l’obliger, si c’était nĂ©cessaire, Ă  lui venir en aide. Bien embarrassĂ© par cette rencontre, qui semblait avoir mis en marche de curieux mouvements dans son mĂ©canisme interne, il ne voulait pas risquer de la dĂ©cevoir.
— Bien, bien, non, je vais regarder. Si je peux, croyez-moi, je m’en charge ; je vais faire mon maximum.
Arthur retourna la montre et, de l’index, accomplit le tour du dos pour trouver l’encoche permettant de l’ouvrir. Un Ă©clair dans l’Ɠil marqua le succĂšs de sa recherche. La main droite, ses doigts, virevoltĂšrent comme animĂ©s d’une vie propre tant ils couraient, sautaient par-dessus les objets qui semblaient s’écarter d’eux-mĂȘmes. Il y avait risque de collision, mais, au dernier moment, ils Ă©pargnaient la piĂšce qui avait fermĂ© les yeux de crainte du choc imparable. Sous le regard attentif de la jeune femme, il se saisit d’un petit tournevis, Ă  l’aide duquel il entama la lutte. Le dos de la montre rĂ©sista, puis cĂ©da Ă  la pression douce, mais ferme, de l’outil. Elle s’ouvrit et le capot sortit de son emplacement. DĂ©licatement, il le posa de cĂŽtĂ© et, tout aussi prĂ©cautionneusement, plaça l’objet Ă  l’envers au centre du halo de la lampe. Il remit sa loupe Ă  l’Ɠil droit puis, avec la grimace caractĂ©ristique de l’horloger consciencieux et curieux, se pencha sur sa patiente. Suzanne, en face de lui, esquissa un petit sourire Ă  la vue de l’expression du rictus comique. Suivit l’observation, l’étude mĂ©thodique du contenu, qui offrit Ă  la vue un enchevĂȘtrement de rouages minuscules emboĂźtĂ©s minutieusement. Le regard survola, caressa le mĂ©canisme complexe, s’interrogea, tenta de comprendre. Il s’arrĂȘta, acquiesça, puis repartit avant de se fixer enfin sur ce microscopique ressort timide qui paraissait orphelin d’un cĂŽtĂ© dans son logement.
À l’aide d’une petite pince Ă  Ă©piler, Arthur le saisit de sa cachette par l’extrĂ©mitĂ© distendue devenue libre de ses mouvements. Le jeune homme repĂ©ra le dispositif vertical Ă  trou qui faisait face. Tordant le bout du minuscule ressort pour lui rendre un arc solide de fixation, il le glissa dans l’encoche qui semblait Ă  la bonne distance. Un tressaillement, le petit monde parut s’éveiller et donner du cliquetis pour remercier son sauveur. Voilà ! Un coup de soufflet pour nettoyer, une lĂ©gĂšre goutte d’huile pour lubrifier. Il referma le clapet. Un peu de chiffon en tendresse pour montrer Ă  quel point il prenait soin de sa patiente. La mimique de contentement de l’artisan aux lĂšvres, il tendit la montre toute pimpante Ă  la main fine qu’il effleura de la sienne. Une dĂ©charge Ă©lectrique. Un rĂ©flexe de recul de part et d’autre. La loupe oubliĂ©e en tomba Ă  nouveau, tout aussi fĂąchĂ©e de ce mauvais traitement que la fois prĂ©cĂ©dente. La jeune femme le fixa et un large sourire illumina son visage qui n’en devint que plus radieux, replongeant celui du garçon dans un ocĂ©an de rougeur.
— Vous savez, je n’ai pas confiance dans les composants Ă©lectroniques, rien ne vaut un bon vieux mĂ©canisme qui a fait ses preuves et qui voudra bien, si on ne le bouscule pas trop, reprendre son activitĂ© sans rechigner.
Arthur la regarda, interrogatif.
— Composants Ă©lectroniques ? Je ne connais pas. Une nouvelle technique dans le pays dont vous venez ? J’avoue ignorer de quoi il s’agit, mais je serai curieux d’en apprendre plus.
Une petite moue ennuyée se dessina chez Suzanne.
— Ah ? Oui, pardon, c’est nouveau et ça ne va pas tarder, enfin pas tout de suite. OĂč ai-je la tĂȘte, je mĂ©lange un peu, l’émotion, vous comprenez ?
Il ne put que comprendre et acquiescer.
— L’émotion, oui, je connais, mais vous n’avez pas Ă  vous excuser. C’est moi et ma curiositĂ©.
Elle lui offrit à nouveau un de ces sourires à faire fondre la glace s’il y en avait eu dans la piùce.
— Je ne sais comment vous remercier et je tiens Ă  vous fĂ©liciter. Votre rĂ©putation n’est en rien surfaite. RĂ©parer un engin dont on ne maĂźtrise pas franchement le mĂ©canisme. Quelle chance j’ai eu de faire votre rencontre.
Encore une fois, le rouge fut de rigueur, et il fallut quelques secondes pour calmer le bĂ©gaiement qui n’aurait pas manquĂ© de surgir.
— Rien de trĂšs compliquĂ© en rĂ©alité ; tout avait l’air en place et je ne me serais pas risquĂ© Ă  troubler une telle perfection. Il n’y avait donc que ce pauvre ressort qui semblait un peu triste d’avoir perdu son attache.
— Si vous me permettez, je voudrais voir Ă  la lumiĂšre du jour si tout est en ordre. Je reviens de suite ; je tiens Ă  vous rĂ©gler ce qui est nĂ©cessaire pour ce travail vraiment parfait.
Arthur ne trouvait pas trop quoi dire ; il aurait souhaitĂ© que cette visite ne se terminĂąt pas et se torturait l’esprit pour imaginer comment faire. Il n’avait pas vraiment l’habitude et ne savait pas comment s’y prendre.
— Oui, on verra ça, ce n’est franchement pas grand-chose. J’ai Ă©tĂ© ravi de faire connaissance avec
 euh, votre mystĂ©rieuse montre, et
 Euh oui, vous aussi, bien Ă©videmment, et

— Je sors juste une minute et je reviens ; je n’ai pas perdu de temps, bien au contraire, et nous continuerons cette conversation. Mais encore vraiment merci pour votre gentillesse.
Suzanne se dirigea vers la porte sous le regard de l’horloger. La sonnette se fit Ă  nouveau entendre comme Ă  regret cette fois-ci. Arthur, pour calmer son Ă©motion, rangea machinalement ses outils tout surpris de tant d’attention par ce qu’il ne faisait pas d’habitude. Il y eut un flash de lumiĂšre dehors. Il se prĂ©cipita, inquiet. Personne sur le trottoir. Plusieurs minutes passĂšrent ; le dĂ©sarroi l’envahit. L’argent, il s’en moquait, il l’aurait rĂ©parĂ©e pour rien. DĂ©sespĂ©rĂ©, il rentra dans la boutique, sinua entre les Ă©tagĂšres qui compatissaient Ă  sa mĂ©lancolie. Il restait sur le comptoir une mitaine oubliĂ©e dont il se saisit. Il la regarda avec intensité ; comme s’il souhaitait Ă  partir d’elle, faire ressurgir sa propriĂ©taire.

23 octobre 2026, 11h00

Un Ă©clair dans la rue. Une porte poussĂ©e sans effort enclencha en retour un ding dong Ă©lectrique. Dans le magasin aux nĂ©ons exaltant la blancheur des murs, tout Ă©tait bien rangĂ©. Il y avait des vitrines qui vantaient en brillant de leurs feux des appareils de toutes sortes, des smartphones, des montres numĂ©riques. Un Ă©talage de technologie moderne Ă  faire pĂąlir d’envie les accros Ă  la nouveautĂ©.
Une jeune femme, Ă©trangement habillĂ©e Ă  la mode du dĂ©but du siĂšcle prĂ©cĂ©dent, pĂ©nĂ©tra dans la boutique, l’air un peu perdu. DerriĂšre le comptoir d’une immaculĂ©e blancheur, un adolescent qui jouait sur son mobile finit par lever les yeux Ă  contrecƓur. Il l’observa bizarrement avec un lĂ©ger sourire moqueur.
— Vous vous rendez Ă  un bal masqué ?
Elle le regarda sans relever la boutade.
— OĂč suis-je ? À quelle Ă©poque sommes-nous ?
— Vous ĂȘtes une marrante vous !
Il joua le jeu, des fois qu’il s’agisse d’une camĂ©ra cachĂ©e.
— Nous sommes en 2026 depuis quelques mois, vous avez perdu votre chemin pour votre bal ?
Elle eut l’air de se ressaisir, prit une profonde inspiration.
— Non, je crois que c’est du temps que j’ai perdu, ou du moins, je pense en avoir dĂ©pensĂ© un peu trop. Peut-ĂȘtre pourriez-vous m’aider Ă  le rĂ©cupĂ©rer ?
Elle sortit sa montre en constatant au passage la disparition de sa mitaine.
— Qu’est-ce que c’est que ce truc-là ? lĂącha le garçon. Vous devriez le mettre dans un musĂ©e, Plus personne ne fabrique vraiment ce genre de bidule analogique. Vous devriez plutĂŽt m’acheter un de ces magnifiques smartphones qui, en plus de donner l’heure, peuvent prendre des photos, filmer et oui, aussi tĂ©lĂ©phoner.
Elle grimaça son désaccord.
— Non merci, je connais cette sorte d’engins et leur suite, la mienne fait un peu plus que ça. Je prĂ©fĂšre me reposer en confiance sur la mĂ©canique, mĂȘme si elle peut parfois rĂ©vĂ©ler des dĂ©fauts ennuyeux. Mais sans doute ne pouvez-vous pas me tirer d’embarras et rĂ©gler mon problĂšme.
Le visage de l’adolescent, un instant renfrognĂ©, s’éclaira.
— Attendez, il y a bien derriĂšre un vieux monsieur, Jean, qui pourrait vous aider. Il a travaillĂ© ici toute sa vie. Cette boutique appartenait depuis des lustres Ă  sa famille, les Ruellan. Il nous donne encore des coups de main pour des cas dĂ©sespĂ©rĂ©s comme le vĂŽtre. Je vais le chercher, ne bougez pas.
Le pas traĂźnant, se dĂ©plaçant avec difficultĂ©, un vieil homme fit son apparition. Il avait bien facilement dans les quatre-vingts ans. Tandis que le jeune garçon se replongeait dans son jeu, il leva les sourcils vers la nouvelle arrivante. Ses yeux s’écarquillĂšrent et sa bouche reproduisit le « O » d’étonnement silencieux d’usage.
— Ă‡a alors, vous ressemblez curieusement Ă  ma grand-mĂšre. Sur une photo que j’ai toujours chez moi. Mon pĂšre m’a racontĂ© l’histoire, celle de mes grands-parents. Ses absences rĂ©guliĂšres Ă  elle, puis Ă  eux, Ă©trangement jeunes Ă  leur retour. Puis, un jour, il s’est mariĂ© Ă  son tour, je suis nĂ©, et tous deux ont disparu. Je devais avoir dans les cinq ans, j’en ai encore de vagues souvenirs, je crois mĂȘme qu’ils ont laissĂ© un mot bizarre que mon pĂšre n’a jamais voulu expliquer. Mais pardonnez-moi le discours d’un vieux fou dont vous n’avez que faire. Vous avez une trĂšs ancienne montre mĂ©canique qui vous joue des tours. Montrez-la-moi, dit-il en tendant la main dans laquelle la visiteuse s’empressa de dĂ©poser l’objet. Quel Ă©trange appareil !
Il opĂ©ra avec les mĂȘmes gestes que le jeune homme jadis, inconscient Ă  cette distance temporelle du dĂ©jĂ -vu qu’il provoquait, sous le regard attendri de la jeune femme. Son visage concentrĂ©, ses mains ridĂ©es survolĂšrent la curieuse montre qu’il ouvrit avec autant de dextĂ©ritĂ© que de respect.
— LĂ , dit-elle en pointant le petit ressort, je crois qu’il n’a pas Ă©tĂ© fixĂ© sur la bonne encoche. Il devrait ĂȘtre sur ce cran-ci, plus bas je pense, si je ne me trompe pas, sinon je reviendrai un peu plus tĂŽt pour voir ce qu’on peut faire.
— Un peu plus tĂŽt ? s’étonna le vieil homme.
— Oui, pardon, je veux dire, je repasserai pour le modifier.
Le ressort positionnĂ© comme suggĂ©rĂ©, un petit coup de poire pour la poussiĂšre pas franchement nĂ©cessaire, mais dispensĂ© mĂ©caniquement pour travail bien fait. Il tendit l’objet Ă  la jeune femme. Les mains se touchĂšrent, et la dĂ©charge Ă©lectrique les vit bondir en arriĂšre.
— C’est normal, dit-elle l’air espiĂšgle ; c’est de famille.
Il lui lança un regard interrogateur. Sans y faire plus attention, elle reprit.
— Combien vous dois-je, monsieur Jean ? demanda-t-elle
— Rien du tout, tout le plaisir a Ă©tĂ© pour moi ! s’exclama rapidement le vieil homme, tout content de l’entendre l’appeler par son prĂ©nom.
— Ah non, une bonne partie m’est Ă©chue Ă  moi aussi, je peux vous le garantir, rĂ©torqua-t-elle.
— Vous pourriez m’en dire un peu plus ? J’ai vraiment l’impression qu’on se connaĂźt, cette ressemblance

— Pardonnez-moi, rĂ©pondit-elle, mais je dois m’absenter Ă  mon tour, je crois bien avoir un rendez-vous que je ne peux et ne souhaite pas remettre, mĂȘme s’il n’y a pas d’urgence temporelle. Je ne devrais pas arriver trop en retard cette fois, Ă  quelques minutes prĂšs, et je pense savoir comment dĂ©sormais prĂ©venir les dĂ©sagrĂ©ments causĂ©s par ma montre. Mais je vous le promets, on se reverra trĂšs bientĂŽt. Vous saisissez, avec le temps, il faut Ă©viter de faire trop de boucles ; on risque de s’emmĂȘler les bigoudis !
Songeur, sans vraiment comprendre cette attirance qu’il pouvait avoir pour cette jeune femme, leurs atomes qui s’accrochaient alors qu’il ne la connaissait pas
 Il la regarda sortir, puis bifurquer devant la vitrine. Elle s’arrĂȘta en se tournant vers lui et parut manipuler les boutons de rĂ©glage des aiguilles de sa montre. Un dernier regard, un sourire, un geste de la main, un Ă©clair Ă©blouissant, disparue ! Il se frotta les yeux, ayant du mal Ă  les croire. J’ai rĂȘvĂ©, pensa-t-il.
Alors qu’il rangeait les petits outils dans leur housse, la porte s’ouvrit, ding dong ! Un couple franchit le seuil tout sourire. Ça alors ! Le visage de la femme et celui de l’homme
 On dirait


Michel Maillot
Copyright @ Michel Maillot pour Le Galion des Etoiles. Tous droits réservés. En savoir plus sur cet auteur


💬Commentaires

1.PostĂ© par Éric MARIE le 09/11/2025 12:25 | Alerter
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ATRAVERSLESPACE
Encore un joli conte distillĂ© avec vĂ©nustĂ© par notre ami Michel Maillot. Une touche de grĂące mĂȘlĂ©e de fantastique, de froufrous, de vaporeux
 Une cĂąlinerie qui fait du bien. Il est encore temps de prendre le temps..

2.Posté par Koyolite TSEILA le 12/11/2025 15:56 | Alerter
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KoyoliteTseila
Deux rencontres dans une boutique d’horlogerie Ă  cent ans d’intervalle, autour d’une montre mĂ©canique mystĂ©rieuse et complexe, un sentiment d’étrangetĂ© et de liens familiaux Ă  travers le temps


Michel Maillot offre ici un rĂ©cit dĂ©licat et poĂ©tique, oĂč le temps devient un personnage Ă  part entiĂšre. Entre la prĂ©cision des dĂ©tails, la grĂące des descriptions qui forment d’exquises images dans mon esprit et la touche de fantastique, Michel rĂ©ussit Ă  crĂ©er une atmosphĂšre Ă  la fois intime et mystĂ©rieuse. Je me suis laissĂ©e emporter par la rencontre de Suzanne Pairault et Arthur (et puis, Jean) Ruellan (*), par la magie d’une montre singuliĂšre et par la douce mĂ©lancolie qui traverse ce rĂ©cit.

Un texte qui allie élégance et émotion. Merci Michel pour cette parenthÚse hors du temps qui fait beaucoup de bien.

(*) vous noterez au passage le choix des noms qui n'est pas anodin

3.Posté par Mathilde CONTRERAS le 14/11/2025 11:32 | Alerter
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Hori
Merci Michel pour ce texte poétique et un peu mélancolique, il est parfait pour la saison!

4.Posté par Jean Christophe GAPDY le 15/11/2025 11:16 | Alerter
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JCGapdy
Superbe, délicat et poétique. Un petit brin d'amour et d'amusement dans ce texte que j'ai relu deux fois pour en savourer le plaisir et la douceur, pleine de non-dits et de sous-entendus que l'on devine et effleure avec émotion. Bravo ! Et merci pour ce cadeau, d'autant que l'on devine et comprend que son auteur s'est amusé et a pris lui aussi un réel plaisir à l'écrire.
J'y ajoute que j'ai repensé à l'atelier de mon pÚre qui, s'il était mécanicien marin de formation et de premier métier, possédait tout l'attirail de l'horloger et savait parfaitement réparer et remettre en état ces petits mécaniques : brucelle, moelle de sureau, pùte rodico, potence, etc. Il y avait tout et le souvenir m'en est revenu dÚs les premiers paragraphes lus.

5.Posté par Koyolite TSEILA le 15/11/2025 13:19 | Alerter
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KoyoliteTseila
@Jycé : quelle jolie anecdote que celle de l'atelier de ton papa !

6.Posté par Lionel COSSON le 15/11/2025 20:23 | Alerter
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lcosson42
Votre texte fonctionne comme une belle montre Ă  complications : prĂ©cis, Ă©lĂ©gant et dĂ©licieusement farfelu. Les personnages sont attachants, l’humour discret mais efficace. Il y aussi cette petite touche de romantisme qui ajoute un petit plus qui fait la diffĂ©rence. Quant Ă  la chute, elle boucle l’histoire avec un clin d’Ɠil si malin qu’on a aussitĂŽt envie de remonter l’histoire depuis le dĂ©but. Bravo !

7.Posté par Robert YESSOUROUN le 17/11/2025 10:20 | Alerter
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Yessouroun
DĂšs la premiĂšre phrase, « en deux temps » nous lance un clin d’Ɠil.
Premier temps : 1906. Dans un atelier oĂč rĂšgne le fouillis parmi les mesures du temps, une jeune femme appelle Ă  l’aide l’horloger juvĂ©nile. Sa montre est paralysĂ©e. Une montre paternelle, bizarre. Dans cet antre du dĂ©sordre, aprĂšs diverses manipulations dĂ©licates, chirurgicales, le ressort retors est repĂ©rĂ©, refixĂ©. Le temps Ă  nouveau sous contrĂŽle.
Second temps : 2026. Une charmante visiteuse se glisse dans un magasin d’appareils Ă©lectroniques oĂč tout est bien rangĂ©. La scĂšne prĂ©cĂ©dente se rĂ©pĂšte. Cette fois, cependant, c’est un vieux papy qui rĂ©pare la montre qui souffre d’un ressort mal fixĂ©. Et le temps s’offre Ă  nouveau aux mains de la jeune femme. Et vogue la navette entre deux temps, histoire de nouer une singuliĂšre romance.
Une certaine poésie nostalgique, une personnification des objets omniprésente (clochette complice, lampe curieuse, ressort timide, loupe fùchée
) caractérisent le style précis et bien léché de Michel Maillot. Un beau conte de Noël ?

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