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Plein gaz ! ou Le garage Heuristique | Michel Maillot | 2024

09/06/2024
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Un tardigrade © nana, Adobe Stock, utilisation gratuite et libre de droit https://stock.adobe.com/ch_fr/
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Avis aux rĂ©sidents de l’HĂ©liosphĂšre

Une rĂ©paration imprĂ©vue sur votre Astronef dernier hurlement ?

Un dysfonctionnement sur votre vaisseau cosmorganique ?

Une seule adresse pour le systĂšme solaire, la nĂŽtre.

Ne vous laissez pas embarquer par les arguments fallacieux d’une concurrence dĂ©passĂ©e. Fut-elle, le chantre des ultimes et soi-disant plus efficaces, parce que modernes, technologies Ă  la mode et en vigueur. En vigueur ? Laissez-nous rire. Les rĂ©parations Ă  la va comme je te pousse, de la main-d’Ɠuvre non qualifiĂ©e, exploitĂ©e et sous-payĂ©e, en provenance des colonies extra-solaires, ne pourront, hĂ©las, que vous retourner une charrette pantelante qui demandera rapidement grĂące.

Non, c’est notre garage heuristique en orbite autour de Saturne, ce qui le met en proche banlieue de la Terre, qui vous offrira le meilleur, pour vous et votre bien-aimĂ© vĂ©hicule.

Les soins que nous apporterons Ă  votre accueil et Ă  votre sĂ©jour balaieront instantanĂ©ment ces rĂ©ticences que les trolls, tous sauf drĂŽles, essaient d’infuser en ternissant notre rĂ©putation sur les rĂ©seaux spatiaux.

Nous vous attendons d’ores et dĂ©jĂ  dans notre repaire, une coupe de champagne Saturnien Ă  la main, ou Ă  tout ce qui se peut faire office d’appendice prĂ©hensile.

PremiÚre à gauche en sortant des anneaux extérieurs et en contournant Encelade, direction Titan. Les bornes tracto-spatiales vous conduiront en toute sécurité chez nous.

Pour le cĂ©lĂšbre garage Heuristique de l’éminent Sitbal, TechnoChir hors pair du systĂšme solaire,

Moebius, votre serviteur

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Plein gaz ! ou Le garage Heuristique | Michel Maillot | 2024

Un fatras de piĂšces mĂ©talliques, d’écrous, de tubes et autres morceaux difficilement identifiables qui traĂźnaient partout. Soit par terre, soit recouvrant de longs Ă©tablis qui Ă©talaient leurs mornes usures causĂ©es par d’interminables heures, mĂ©langes de sueur et d’imprĂ©cations. Également, d’insupportables machines de tailles diverses, heureusement pas trop grandes et trop grosses pour Ă©viter collisions et blessures humaines ou synthĂ©tiques. Des appareils qui rampaient sur le sol ou qui volaient en tous sens dans le vaste espace en maugrĂ©ant, poussant des jurons, comme si elles Ă©taient des ĂȘtres animĂ©s de conscience et d’ñme. Et peut-ĂȘtre l’étaient-elles, qui peut savoir, si comme elles on dĂ©ambulait, on s’affairait avec une mine paraissant renfrognĂ©e pour satisfaire quelque besoin inassouvi dans un but qui dĂ©passait l’entendement et la pensĂ©e humaine. Encore aussi, Ă©parpillĂ©s sans agencement particulier, de multiples frigos verticaux ou horizontaux, dont les portes et couvercles, rĂ©sonnaient de coups d’impatience frappĂ©s de l’intĂ©rieur pour manifester un dĂ©sir de servir. Au milieu de tout ce fracas se trouvait le maĂźtre des lieux. Enfin maĂźtre, il n’en donnait guĂšre l’impression. Dans sa Technoclinique situĂ©e sur une lune de Saturne, le vieux Sitbal, TechnoChir pour les uns et pour les autres, garagiste un peu hermĂ©tique, n’aimait guĂšre la compagnie des hommes. Un rien misanthrope, il prĂ©fĂ©rait celle des robots, de ses joyeux comparses, plutĂŽt foutraques, mais qui lui rendaient bien son affection, non sans taquinerie par moment. D’ailleurs, ceux de tout Ă  l’heure le savaient bien, ils s’écartaient de son chemin, autant par dĂ©votion envers le crĂ©ateur que par crainte de se prendre un coup de clĂ© de douze sur la cafetiĂšre. Et Dieu sait, si cĂŽtĂ© cafetiĂšre ils s’y entendaient ces tas de ferraille. Mais au fond, le bougon les aimait toutes et tous, les connaissait par leurs noms. Parfois, il les cajolait, les caressait ou les engueulait, quand, de mauvaise humeur, il les trouvait sur son passage Ă  moins qu’ils ne se cachent exprĂšs pour l’enrager. Tiens, d’ailleurs.

— OĂč est-ce que j’ai foutu ce damnĂ© tournefil ? gronda Sitbal en jetant des coups d’Ɠil Ă  gauche et Ă  droite. Jamais lĂ  quand on a besoin de lui, celui-lĂ .

PenchĂ© sur les entrailles du pulseur impudiquement Ă©talĂ©es devant lui, il Ă©cartait les mains en signe d’impuissance.

— Comment veux-tu opĂ©rer dans des conditions pareilles ? continua-t-il sur le mĂȘme ton irritĂ©.

Bourdonnant Ă  cĂŽtĂ© de lui, son ami, l’assistant cyber, voletait en essayant tant bien que mal de le contourner pour distinguer oĂč pouvait en ĂȘtre le vieil homme.

ExcĂ©dĂ©, celui-ci balança une chiquenaude du revers de la main qui rĂ©sonna sur le flanc du robot et l’envoya tituber dans les airs. Jouant de ses gyros, il reprit son assise dans l’espace pour se rapprocher prudemment.

— Moebius, plutĂŽt que de m’agacer les esgourdes, tu ferais bien de m’aider ! gronda le vieux, tu vois bien que l’anesthĂ©sie ne va pas tarder Ă  cesser de faire effet.

— Si tu rangeais un peu mieux tes affaires aussi, lui rĂ©torqua l’autre, qui se dĂ©montait rarement en dehors de son entretien habituel.

— Ă‡a te va bien de critiquer ! retourna Sitbal, c’est facile pour toi, tu as tout dans ton ventre, bien Ă  l’abri. Moi j’essaie de poser les outils en ordre Ă  l’endroit oĂč je dĂ©sire les retrouver. Pas ma faute Ă  moi, s’ils changent de place tout seuls Ă  leur bon vouloir.

Faisant entendre un bourdonnement de ses ailes Ă  moitiĂ© rĂ©probateur, Moebius s’éloigna Ă  tire d’ailes colibresques quasi invisibles. On perçut des bruits de ferrailles et de chute mĂ©tallique avant de le voir revenir triomphalement, retenant dans une de ses pinces, sortie pour l’occasion, le tournefil qui se dĂ©battait comme un beau diable.

— VoilĂ , suffisait de chercher au bon endroit, lança-t-il victorieusement.

— C’est sĂ»r qu’au mauvais ne rapporte pas grand-chose, maugrĂ©a le vieil homme, reconnaissant rarement le mĂ©rite de l’autre.

Sans plus de remerciements, il se saisit de l’appareil qui se calma instantanĂ©ment, sentant que l’orage couvait. De ses doigts habiles, Sitbal enfonça l’outil entre deux artĂšres pulsantes de l’hybride pour venir resserrer, ici, un boulon rĂ©calcitrant, lĂ , cautĂ©riser la jonction circulatoire.

— VoilĂ , jeta-t-il d’un air satisfait, plus pour lui-mĂȘme qu’en direction de l’assistance, retenant son souffle afin d’éviter les horions et quolibets d’usage. Un peu d’intracorol pour cicatriser et ça sera rĂ©glĂ©.

À peine refermĂ© le capot chitineux, tout le monde se remit Ă  cliqueter, tintinnabuler comme Ă  son habitude, sans plus se soucier du voisin ou du vieil homme. Le TechnoChir poussa un soupir de dĂ©couragement devant le tintamarre qui reprenait place.

C’est Ă  cet instant que le carillon tonitruant de l’entrĂ©e du labo balaya l’atmosphĂšre en tourbillonnant comme une tornade acoustique.

— Nom d’un Caragole, s’écria Sitbal en se bouchant les oreilles, quelle est l’andouille qui a dĂ©rĂ©glĂ© le volume de la sonnerie ?

À nouveau, les habitants du garage-clinique se turent pour abandonner l’espace sonore Ă  l’intrus et ne pas attirer l’attention sur eux, coupables ou non de la facĂ©tie.

— VoilĂ , voilĂ , on arrive, hurla Sitbal par rĂ©action et pour se faire entendre, Moebius, coupe-moi ce bazar et va voir de qui ou de quoi il retourne.

Suivant le cybervolant, il parvint quasi en mĂȘme temps que lui pour accueillir le visiteur.

La porte du sas laissa pĂ©nĂ©trer un individu dont l’aspect extĂ©rieur jurait parfaitement avec celui des occupants du garage. De haute taille, suffisante pour avoir bousculĂ© avec l’encadrement de l’ouverture, l’espĂšce de tiare de tissu qui surplombait son visage. Manifestement d’humeur peu amĂšne, il repositionna le couvre-chef Ă  l’aide de deux de ses membres latĂ©raux supplĂ©mentaires. Les vĂȘtements chamarrĂ©s, plutĂŽt amples, semblaient animĂ©s de vie propre comme pour onduler gracieusement autour de la silhouette. À moins, qui sait, qu’ils ne se rĂ©vĂšlent eux-mĂȘmes l’émanation vivante de l’individu qu’ils paraissaient revĂȘtir. Mais peu importe, ce n’est pas ici, en ce lieu, qu’on se permettait de juger et donner des leçons de mode ou de biensĂ©ance.

S’essuyant les mains sur sa blouse dĂ©jĂ  bien maculĂ©e, Sitbal un peu embarrassĂ© quand il s’agissait de protocole ou tout bonnement de relations extra, intra ou simplement humaines, fit signe au visiteur de s’avancer. Il baragouina son inconfort.

— Bonjour monsieur, entrez donc dans notre modeste demeure, excusez le dĂ©sordre, mais nous n’avons pas trop l’habitude de recevoir et


L’autre leva une ou deux tentacules surgissant de son dos pour interrompre le vieil homme.

— Pas de nĂ©cessitĂ© de jouer de diplomatie en ces lieux, lança l’individu, un rien dĂ©daigneux en balayant les alentours de ce qui semblait un regard filtrant sous sa tiare en soie. Je me prĂ©sente, je suis SibĂ©rius, ambassadeur de sa trĂšs haute et inestimable grandeur l’Altesse SĂ©rĂ©nissime, empereur de toutes les galaxies, j’ai nommĂ© l’immense Babylas V.

Tandis que Moebius agaçait l’air de ses ailes, Sitbal se retint de rire Ă  l’image et au son que projetait le visiteur. Ses rĂ©pĂ©titifs effets costumiers accompagnaient la grandiloquence du discours de l’individu. Il fallait se contrĂŽler. Un client est un client et celui-ci devait probablement reprĂ©senter la nĂ©cessitĂ© d’éviter l’incident diplomatique ou bassement Ă©conomique.

— Oui monsieur, votre grĂące, seigneur SibĂ©rius, comme vous souhaitez qu’on s’adresse Ă  vous, avança le vieux TechnoChir, que pouvons-nous accomplir pour vous ?

Un geste d’agacement de ses multiples tentacules latĂ©raux vit reculer Moebius qui sentait poindre la bourrade.

— Appelez-moi Seigneur, ça fait l’affaire pour les espĂšces infĂ©rieures. Je suis venu vers vous parce que, paraĂźt-il, vous seriez le meilleur rĂ©parateur d’engins sillonnant l’espace. Notre prĂ©sence ici rĂ©clame, exige de dĂ©livrer Ă  notre guide suprĂȘme tous les droits qu’il compte exercer sur votre galaxie, la Voie LactĂ©e. Comme je l’ai dit, l’empereur est le maĂźtre incontestable de tout cet univers, d’oĂč l’ultimatum posĂ© en personne aux peuples en prĂ©sence. Nul doute que l’accueil se doit d’ĂȘtre le plus favorable. Dans sa grande magnanimitĂ©, sa MajestĂ© laisse un peu de temps Ă  vos reprĂ©sentations arriĂ©rĂ©es, pour prendre acte et prĂ©parer, avec votre rĂ©ponse, les multiples biens qu’il est en droit d’attendre de ses vassaux. Dans le cas bien improbable oĂč le retour s’avĂ©rerait autre


Le plĂ©nipotentiaire s’arrĂȘta pour sortir, dont on ne sait oĂč, des tissus dont il se servit pour essuyer sans doute quelques narines apparaissant ou disparaissant lĂ  oĂč devrait se situer un visage. Les jetant au sol sans plus de cĂ©rĂ©monie, il ignora les robots rampants qui vinrent se saisir des rebuts pour les faire partir en fumĂ©e dans les incinĂ©rateurs de leurs ventres mĂ©talliques.

— Donc, si la rĂ©ponse devait nous ĂȘtre rendue autrement qu’attendue Ă  notre retour, nous serions dans l’obligation de dĂ©truire toutes espĂšces demeurant sur les planĂštes gravitant autour des Ă©toiles de cette galaxie.

Sitbal ne put s’empĂȘcher de sursauter.

— Ah oui, quand mĂȘme. Mais je ne vois pas trĂšs bien lĂ  oĂč mon rĂŽle peut se situer dans cette affaire.

— Vous n’avez ni le rang ni la possibilitĂ© d’intervenir sur ce sujet. Non, votre mission c’est de pallier l’embarras qui est le mien, le nĂŽtre, suite Ă  un dysfonctionnement regrettable de notre vaisseau intergalactique. C’est le seul de sa sorte pour des raisons de sĂ©curitĂ© Ă©vidente. Celui qui dispose de toute la puissance de feu nĂ©cessaire dont nous l’avons Ă©quipĂ©. Le seul pouvant voyager entre nos mondes si Ă©loignĂ©s qui appartiennent Ă  notre chef absolu. Un navire et des armes lui assurant la totale maĂźtrise sur les peuples aveugles Ă  sa lumineuse existence. HĂ©las, il ne fonctionne plus, ou en tout cas pas comme il devrait, pour franchir l’espace-temps qui nous sĂ©pare. C’est intolĂ©rable, car rien ne doit entraver la marche implacable et primordiale de notre guide suprĂȘme. En deux mots, notre vaisseau souffre d’une maladie et ne peut produire le nĂ©cessaire pour gagner la vitesse permettant d’atteindre, d’ouvrir et de passer le portail menant Ă  notre demeure.

Le regard de Sitbal s’illumina un bref instant.

— Ah, une nef cosmorganique je suppose, voyons voir, laissez-moi consulter mon livre pour dĂ©terminer quand je pourrais m’occuper de


De multiples gestes d’agacement ou de fureur rentrĂ©e Ă©manant de l’ambassadeur stoppĂšrent son discours.

— Pas question pour Son Altesse d’attendre, nous sommes prioritaires, je ne devrais pas avoir Ă  le dire. C’est intolĂ©rable. Vous devez vous y consacrer sĂ©ance tenante et dans ce cas obtenir une rĂ©compense Ă  la hauteur de notre gĂ©nĂ©rositĂ©. À l’inverse, nous nous verrions dans l’obligation de pulvĂ©riser votre sordide garage et chercher ailleurs, ce n’est pas ce qui doit manquer


Le vieux TechnoChir fronça les sourcils.

— Vous ne vous montrez guĂšre patient ou civil mon
 Seigneur, ici, on ne fonctionne pas sous la menace et vous aurez beaucoup de mal Ă  trouver mieux autre part. Je veux bien regarder ce qu’il en retourne et vous donner le rĂ©sultat de mon expertise


À nouveau, l’ambassadeur le coupa de ses expressions multicolores changeantes en provenance de ses vĂȘtements, son corps ou les deux sans doute.

— VoilĂ  qui est rĂ©glĂ©, prenez avec vous le nĂ©cessaire et accompagnez-nous immĂ©diatement, la navette nous attend Ă  l’extĂ©rieur. Le Biltog se trouve en orbite basse.

Sitbal se saisit en grommelant de sa mallette d’urgence qui patientait Ă  cĂŽtĂ© de l’entrĂ©e. Il fit signe Ă  Moebius de le suivre pour l’assister dans son voyage. Celui-ci ne se fit pas prier, inquiet qu’il Ă©tait de cette visite et de ses consĂ©quences. Il enclencha la vitesse supĂ©rieure de ses ailes vrombissantes qui Ă©mirent un hoquet avant de repartir de plus belle. Il passa le sas qui se refermait en penchant son corps sphĂ©rique vers la proue, pour Ă©viter de se retrouver coincĂ© et parvenir Ă  rattraper les deux autres, partis sans attendre.

***

La porte du garage s’ouvrit en chuintant. Les divers composants en vadrouille dans le passage se prĂ©cipitĂšrent pour regagner comme si de rien n’était, qui, leur emplacement en hauteur, qui, leurs abris sous Ă©tagĂšres basses ou Ă©tablis pour se faire oublier du propriĂ©taire.

Sitbal, d’humeur joyeuse, ce qui Ă©tait plutĂŽt rare, jeta sa sacoche sur la petite commode qui rentra les Ă©paules pour absorber le choc. Moebius agitait ses ailes brumeuses d’inquiĂ©tude en suivant avec difficultĂ©s les grandes enjambĂ©es du vieux TechnoChir. Il ne tarda pas Ă  manifester son impatience.

— Mais enfin, qu’est-ce qui t’a pris ? chouina-t-il en direction de son complice.

Un lĂ©ger sourire aux lĂšvres, Sitbal s’avança vers son vieux fauteuil fatiguĂ© pour se laisser tomber sur son assise dĂ©foncĂ©e. Les ressorts poussĂšrent un cri de gĂ©missement et de protestation rentrĂ©e avant de retourner Ă  leur torpeur. Posant ses mains sur les accoudoirs, dont le cuir usĂ© se rappelait les griffes des multiples chats les ayant frĂ©quentĂ©s, il releva la tĂȘte vers son associĂ©.

— Mon vieux Moebius, que je t’explique pourquoi ce jour est bĂ©ni.

Il renifla un coup et se saisit d’une de ces cigarettes faites main dont on prĂ©fĂ©rait ignorer la constitution intĂ©rieure. L’ayant allumĂ©e et tirĂ© une bouffĂ©e odorante, il reprit.

— Alors voilĂ , j’ai bien observĂ© et discutĂ© avec le vaisseau cosmorganique, le Biltog. Son souci, hormis le fait d’ĂȘtre l’esclave de ces dangereux hurluberlus, Ă©tait de nature organique. Tu ne vas pas le croire, mais la technique de dĂ©placement hyperspatial et interunivers est liĂ©e Ă  l’utilisation de son anatomie bien particuliĂšre. La nourriture qui lui est fournie enclenche des rĂ©actions du systĂšme digestif qui du cĂŽtĂ© supĂ©rieur absorbe la quasi-totalitĂ© de ce qui est ingĂ©rĂ© et de l’autre infĂ©rieur provoque la fabrication de gaz hautement rĂ©pulsif. C’est l’évacuation, tu m’entends bien, l’évacuation arriĂšre qui propulse l’animal dans les profondeurs du cosmos ! Incroyable, ça serait tordant, si ce n’est ce qu’endure la malheureuse crĂ©ature. Bref, elle en a dĂ©veloppĂ© des irritations inflammatoires qui ont mis en panne tout son appareil digestif. Raison pour laquelle, Son Altesse et sa clique ne pouvaient pas rentrer chez eux ! Je me suis entretenu longuement avec la pauvrette et j’ai donc dĂ©cidĂ© de la guĂ©rir, au vu de ses souffrances largement supĂ©rieures aux ennuis qu’elle subissait par ailleurs.

Moebius tangua sa désapprobation aérienne vers Sitbal.

— Mais tu te rends compte que tu as rendu service et libĂ©rĂ© ces dangereux maniaques. Ils vont pouvoir mettre leurs menaces Ă  exĂ©cution, rentrer chez eux, opprimer les leurs avant de revenir rĂ©gler notre sort. Et je ne parle pas de cette malheureuse crĂ©ature que tu as dĂ©barrassĂ©e de sa maladie pour la livrer Ă  nouveau Ă  ses chaĂźnes


Le vieux TechnoChir leva sa main fumeuse pour calmer le robot aérien.

— Attends, je n’ai pas fini, dĂ©clama-t-il entre deux bouffĂ©es euphorisantes. Lors de nos brĂšves conversations tĂ©lĂ©pathiques, par l’intermĂ©diaire de mon casque neurotransmetteur, j’ai pu Ă©changer avec notre pauvre amie. Elle m’a expliquĂ© oĂč se situaient les capsules des quartiers d’habitation des passagers. Elles sont insĂ©rĂ©es dans les circonvolutions hautes de ses intestins, seul endroit possible qui se trouve de plus Ă  l’abri de l’expulsion gazeuse basse. Nous avons Ă©laborĂ© ensemble un plan d’action pour les soins et la suite. C’était pas Ă©vident pour elle, vu les consĂ©quences, mais elle a acceptĂ©, connaissant les Ă©ventualitĂ©s offertes. Je lui ai donc administrĂ© le traitement pour Ă©liminer toute infection et dĂ©sagrĂ©ment en cours, puis le pansement doublant sa membrane intestinale en vue du redĂ©marrage. Enfin, chose vendue Ă  l’ambassadeur qui se montrait tout sourire Ă  l’idĂ©e de pouvoir repartir, j’ai ajoutĂ©, sans frais supplĂ©mentaires, de la levure de Kourgountz pour amĂ©liorer et stimuler le systĂšme digestif de la crĂ©ature.

— De la levure de Kourgountz ?!!! s’écria Moebius, mais c’est un puissant


Le robot ailĂ©, qui n’en pouvait plus de tournoyer son Ă©motion dans les airs, trouva plus prudent de se poser sur l’établi jouxtant le fauteuil. Sitbal inhala une grande bouffĂ©e de sa cigarette, avant de jouer Ă  projeter des ronds de fumĂ©e vers le plafond. Tout autour de lui, attentifs Ă  l’histoire, plus rien ni personne n’osait lever un petit doigt ou une extrĂ©mitĂ© quelconque. Mais comme le travail ne tarderait pas Ă  reprendre, le silence, une fois n’est pas coutume, ne persisterait pas longtemps. Il serait Ă  nouveau brisĂ© par le concert d’entrechocs des piĂšces dĂ©tachĂ©es se disputant la meilleure place dans le hangar du garage heuristique.

Sitbal finit par opiner du chef, jugeant que l’attente avait assez durĂ©.

— Oui, un puissant laxatif rĂ©pondit-il en consultant sa montre universo-temporelle. À ce moment mĂȘme, lancĂ© Ă  toute vitesse aux confins du vide intersidĂ©ral, le Biltog va pĂ©ter des flammes, ĂȘtre pris d’une diarrhĂ©e monumentale qui va Ă©jecter aux quatre coins du nĂ©ant la totalitĂ© des capsules de passagers. Les spasmes d’évacuation vont expulser tout ce beau monde dans l’espace, d’oĂč ils pourront admirer, au milieu de nulle part et des dĂ©jections liquides Ă©parpillĂ©es, la splendeur du cosmos. Exit sa MajestĂ©, l’ambassadeur et sa troupe qui vont pouvoir danser parmi les Ă©toiles. Adieu veaux, vaches, cochons, lait, couvĂ©e et rĂȘve de grandeur extragalactique. Le peuple lĂ -bas, retrouvera bientĂŽt sa libertĂ©, comme notre ami l’astronef qui va lentement se remettre avec ce que je lui ai prescrit pour reprendre sa destinĂ©e en main. Une fois pleinement rĂ©tablie de son nettoyage interne, elle pourra s’éloigner du nouveau domaine de Babylas V, empereur incontestable et incontestĂ© du vide sidĂ©rant et sidĂ©ral.

Michel Maillot
Copyright © Michel Maillot pour Le Galion des Etoiles. Tous droits réservés. En savoir plus sur cet auteur


💬Commentaires

1.Posté par Koyolite TSEILA le 09/06/2024 07:00 | Alerter
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KoyoliteTseila
Hi hi hi, salut à toi Moebius ! Et adieu Babylas V, veaux, vaches et cochons ! Lecture plaisir, j'adore cette histoire humoristique de SF pleine de gaz 😀 Merci beaucoup Michel pour ce petit texte.

2.Posté par éric MARIE le 09/06/2024 16:50 | Alerter
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ATRAVERSLESPACE
Plein gaz ! Quel titre Ă©vocateur. Nous voici donc, sur une lune de Saturne dans un garage heuristique oĂč rĂšgne un joyeux bazar. Une ambiance Ă  mi-chemin entre the Mandalorian et Fantasia mais, en plus dĂ©jantĂ©e. L’histoire est courte (comme toujours on en redemande) et la fin est inattendue. Pour ma part je ne l’avais pas senti venir. Quelques clins d’Ɠil judicieux pour parfaire le tout et voilĂ  une nouvelle facĂ©tie de Michel Maillot qui se dĂ©guste comme une tarte Ă  la crĂšme ou un pet de nonne. J’ai eu vent d’une suite ?

3.Posté par B BLANZAT le 10/06/2024 08:52 | Alerter
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Blanzat
Pauvre Babylas V, rejoignant Pichrocole et Pyrrhus ! Et je salue le sens de la mĂ©taphore d'Éric Marie !
Le systĂšme de propulsion du vaisseau organique me laisse rĂȘveur, on s'approche du warp drive avec la contraction de la matiĂšre Ă  l'avant et sa... dilatation Ă  l'arriĂšre.
Merci Michel pour ce bon moment.

4.Posté par Siebella CHTH le 12/06/2024 18:35 | Alerter
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Sieb
Tant pis pour ceux qui ignoreront ou bouderont un peu de lecture, il y en aura plus pour les autres. Pour ma part, j'ai adoré patienter pour me régaler de l'aventure concoctée par l'auteur aujourd'hui. On prétend que l'attente amplifie le plaisir de la découverte, je le confirme haut et fort depuis que je parcours le pont des Lectures gratuites sur notre Galion. Nos auteurs ont vraiment beaucoup d'humour, et mettent à profit leur talent pour nous faire passer d'excellents moments.

Je dois avouer qu'en entamant la lecture de ce texte, je me demandais vraiment ce que j'allais faire dans un garage !.. Mais peu à peu, au fil des lignes, l'ambiance se dévoilant finement, j'avais l'impression de me trouver au milieu de tous ces objets hétéroclites et animés, drÎles aussi. Quel plaisir d'évoluer, grùce au talent d'un auteur, au milieu de l'histoire qu'il a créé pour nous, parmi ses personnages, et leurs mésaventures parfois. Ici encore, la projection fût aisée. La détente, également. Car suite à un développement intrigant à souhait, la chute de cette histoire ne coulait pas de source, si je puis dire. Et pourtant.. L'auteur doit bien rire à la pensée de nos regards ébahis et nos éclats de rire en découvrant ce qu'il nous avait concocté.

C'était court, trop à mon goût, mais c'que c'était chouette ! Merci à l'auteur pour ce texte trÚs divertissant et léger, dont j'ai dévoré les lignes avec gourmandise. J'en redemande..

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