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Parabellum Tango | Pierre Pelot | 1980


Une fiche ajoutée dans nos cales par | 20/12/2023 | Lu 404 fois






Parabellum Tango, réédition @ 2000 Denoël | Illustration de couverture @ Philippe Caza | Photo @ Bruno Blanzat, édition privée
Parabellum Tango, réédition @ 2000 Denoël | Illustration de couverture @ Philippe Caza | Photo @ Bruno Blanzat, édition privée

Illustration et quatrième de couverture

Certains vivent à Hors-vue, pays qui n'est que misère et désordre, d'autres vivent dans le domaine de l'Œil, le paradis des citoyens, où ils sont en sécurité, assistés, gouvernés et bien entendu surveillés. Pour Noman, le pays de l'Œil est un paradis qu'il a conquis, une terre promise où il vivra le bonheur. Pour Girek le chanteur contestataire du célèbre Parabellum Tango, c'est tout autre chose : l'interdiction de passer à la télévision et le devoir de continuer le combat...

Et quand la Voix se tait, quand les chansons telles Parabellum Tango meurent dans le silence de l'Œil, il est temps pour les armes de se faire entendre. Hasta siempre !

Parabellum Tango @ 1980 J'ai Lu | Illustration de couverture @ Philippe Caza | Source illustration : nooSFere (merci !)
Parabellum Tango @ 1980 J'ai Lu | Illustration de couverture @ Philippe Caza | Source illustration : nooSFere (merci !)

Fiche de lecture

J’ai trouvé cet exemplaire à l’Emmaus d’Esteville, lieu de mémoire de l’Abbé Pierre. Aucun rapport. Quoique. Un livre qui parle des invisibles, ceux qu’on met littéralement hors de vue. J’aurais aimé que Pelot nous fasse une fresque de cette faune de gens de rien. Chanteurs de rue, graisseux, débrouillards, bandits, taffeurs, coltineuses. Il braque son œil sur un transfuge, agent de pub dans la Hors-Vue qui aspire à devenir Veilleur dans le Domaine, et sur un chanteur contestataire. Ils sont entourés de personnages qu’on a envie de mieux connaître, comme les bidouilleurs d’animaux de compagnie, le garde du corps du musicien, le vieux du quartier…

L’ambiance reste quand même celle d’un monde de gens debout au milieu des décombres. Quelque chose de français, à la Jeury ou Curval, qui me touche. J’entends des sonorités du Traffic de Lavilliers, de Super Nana de Jonasz, ou encore Ô mon ami de Couture.

Ça ne se résume pas à une société dystopique. Ce n’est pas aussi net que Panem ou toutes ces histoires qui mettent des frontières bien franches pour marquer l’ici et le là-bas, le eux et le nous. C’est d’ailleurs expliqué dans le roman : le Domaine de l’Œil et la Hors-Vue forment un patchwork, des décrochés de l’un mordant dans le territoire de l’autre. Ça s’est fait comme ça, des démarcations coupées avec des ciseaux crantés.

En conséquence, les gens de Hors-Vue peuvent prendre l’ascenseur social et s’installer dans le Domaine de l’Œil. A l’inverse, ceux du Domaine sont soumis à un Service Obligatoire, des missions de quelques mois en Hors-Vue, certains n’en reviennent pas.

On a tous les ingrédients de la dystopie : la Loi de l’Œil, la surveillance généralisée, l’absence de quant-à-soi, une fin qui n’est pas sans rappeler le Nous de Zamiatine, deux femmes pour un seul homme…

« Nous demandons au Programme de nous prendre en charge, il est donc normal que nous nous donnions sans restriction au Programme. Que nous obéissions aveuglément à sa Loi.(…) Il est normal que nous obéissions ».

Chaque individu du Domaine se voit attribuer un A.C. (Animal de Compagnie), une créature synthétique pouvant être un chat à plumes, une girafe de 30 cm au garrot, ou un serpent enroulé sur l’avant-bras. Il rappelle à la fois nos extensions numériques actuelles et Philip K. Dick dans Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques, avec la disparition des animaux : « L’Animal de Compagnie remplace avantageusement les véritables animaux, exclus du Domaine. C’est le nounours perfectionné et vivant des enfants que nous sommes redevenus. Il est fait pour être aimé, il est l’unique confident. En liaison totale et permanente avec le Citoyen, par le biais du tympan greffé dans l’oreille de celui-ci. »

Sur l’écriture et le style, je découvre cet auteur avec ce livre, et je trouve qu’il a un côté too much (même si l’expression too much est too much en elle-même) qui me fait penser à ma propre manière d’écrire. Il y a un peu de gras qui aurait pu être retiré pour alléger le récit. Des descriptions parfois supplétives, voire convenues (le triangle de la toison pubienne, franchement, ça finit par être lassant).

Mais il peut avoir des envolées très belles, des formules efficaces. Un personnage comme Girek donne envie de le suivre : « Les mécanismes de leur pouvoir sont multiples, fragmentés et décentralisés à l’extrême, donc invisibles. Okay. A notre tour, nous le serons. On ne criera pas la révolte, on l’organisera souterrainement, sans la signer. Invisibles… » Un bon retournement des outils de contrôle contre leurs propriétaires, une belle ouverture pour clore l’histoire.

Mais je veux finir par ce tableau, morceau littéraire au-dessus de tous les genres, qui ouvre le livre :

« Automne roux, jaune, cassant, fripant, le feuillet gratinant l’herbe à son four solaire ; automne des squelettes bleus et noirs qui pointent sous l’habit déchiré des arbres, des ciels opales aux profondeurs fragiles du verre le plus pur ; automne des silences tissés sur les trames d’une imperturbable sagesse éclose à chaque fois derrière les premières grimaces et les soubresauts instinctifs de la mort estivale. L’air est tranquille et le vent, quelque part, entraîne ses poumons pour les bourrasques blanches des froidures coupantes qui vont naître bientôt. Si le ciel est à ce point dénudé jusqu’à l’âme, c’est qu’il attend ses nouvelles panoplies, et les charrois pesamment rebondis des attelages noirs, les cavaliers du gel, les hordes des tornades cinglantes. C’est la trêve avant les hautes joutes. »

Bruno Blanzat
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