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Des Hommes et des Monstres | Of Men and Monsters | William Tenn | 1968


Une fiche ajoutée dans nos cales par | 06/04/2021 | Lu 441 fois




Galaxie bis no 74 (1970) | Photo @ Jean-Michel Archaimbault | Collection privée
Galaxie bis no 74 (1970) | Photo @ Jean-Michel Archaimbault | Collection privée
L'Humanité se composait de 128 personnes...

Par le seul jeu de la poussée démographique, cette si vaste horde suffisait depuis longtemps déjà à peupler plus d'une douzaine de tranchées. Des détachements de la Société Mâle occupaient les quatre premiers de ces corridors communicants et y patrouillaient avec tous leurs effectifs, vingt-trois jeunes hommes dans la fleur de l'âge, pleins d'audace et de vivacité. Ils étaient postés à cet endroit-là pour soutenir le premier choc en cas d'attaque dirigée contre l'Humanité, eux, leurs chefs d'escouades et les jeunes initiés qui les servaient...

William Tenn

De son vrai nom Philip Klass (1920-2010), il est l’auteur de nouvelles dont un certain nombre sont parues en France et de sept romans dont un seul, Of Men and Monsters, a été traduit et publié en français, sa première partie écrite en 1963 dans le Galaxie 2ème série n°5 en 1964 puis son intégralité (les deuxième et troisième parties ayant été rédigées entre 1963 et 1968) dans le Galaxie bis n°16 en 1970 sous le titre Des Hommes et des Monstres.
 
Loin d’être un banal récit de SF post-apocalyptique, en l’occurrence, une invasion extraterrestre, il se révèle comme une étude sociologique aux développements détaillés et, ce qui frappe davantage encore aujourd’hui, pose des questions de fond sur la place et le comportement de l’Homme parmi les espèces vivantes qui l’entourent.
 
Ce livre qui, étrangement, n’a jamais été réédité et n’a pourtant pas pris une ride éveille de troublantes résonances dans le contexte de notre époque, de par les considérations et réflexions contenues par exemple dans les extraits choisis.

Présentation

« Dans les murs, il y a des hommes… Ils vivent comme la vermine et, au long de ténébreux couloirs, ils luttent pour leur subsistance tandis que rôdent les Monstres, dans les espaces immenses et lumineux, au centre du monde. Mais quel monde… ? »
 
Réduits à l’état de parasites comme le sont pour nous les rats, les souris, les cafards ou les fourmis, les Humains se sont habitués et adaptés à la cohabitation avec des créatures qui ont pris possession de la Terre.

Aucune communication ne s’est établie entre ces géants monstrueux qui ne perçoivent rien de l’intelligence des hommes et mènent sur ceux qu’ils capturent toutes sortes d’expériences pour les étudier afin de trouver un moyen de les éradiquer.

L’avenir de l’Humanité survivante n’est point dans la lutte, perdue d’avance, mais dans l’acceptation d’un rôle peu enviable pour une espèce qui dominait sa planète natale sans se soucier des êtres jugés inférieurs, qu’elle exploitait avec la plus totale indifférence ou tentait d’éliminer si elle les classait comme nuisibles ou indésirables.

Extraits choisis

Illustration @ Moebius
Illustration @ Moebius
… « Quelque part, dans chaque croyance, il y a un fond de réalité. L'homme a été longtemps le maître de la Terre, Éric, et pendant tout ce temps, il a été rongé par le sentiment de culpabilité. Toute sa religion et toute sa littérature - la littérature écrite par des hommes sensés, non par des fous – sont pleines du sentiment de sa culpabilité. Si tu laisses de côté la partie légendaire pour ne considérer que ce qu'il a fait, il avait des raisons de se sentir coupable. Il avait réduit ses frères humains en esclavage, il les torturait et les humiliait. Il avait détruit des civilisations sœurs, abattu leurs temples et leurs universités, et il en avait utilisé les pierres pour bâtir des maisons. Il arrivait que des hommes piétinent des femmes et se moquent de la douleur qu'elles ressentaient, ou bien les femmes piétinaient les hommes et se moquaient de la douleur qu'ils ressentaient. En certains endroits, les parents enchaînaient les enfants pendant toute leur croissance ; dans d'autres endroits, les enfants chassaient leurs parents devenus inutiles avec ordre de mourir. Et ça, c'est ce que l'homme faisait à sa propre espèce, à l'homo sapiens. Mais qu'est-ce qu'il a fait des autres races sœurs et avec lesquelles il s'était développé sur la Terre ? Nous savons ce qu'il a fait de l'homme de Neandertal : combien d'autres races gisent dans les cimetières inconnus de l'histoire de l'anthropologie ? »
 
« L'homme est un animal, Rachel ! Son devoir est de survivre ! » 
 
« L'homme est plus qu'un animal, Éric. Son devoir dépasse le fait de survivre. Si un animal en mange un autre et, ce faisant, détruit l'espèce, c'est de la biologie ; si l'homme fait la même chose, par besoin pressant ou par caprice, il sait qu'il a commis un crime. Qu'il ait en cela tort ou raison est hors de question : il sait qu'il a commis un crime. Cela, c'est une prise de conscience typiquement humaine, dont on ne peut se débarrasser avec un haussement d'épaules évolutionniste. »
 
Il s'éloigna du mur et se mit à marcher de long en large dans la cage, ouvrant et fermant nerveusement les poings, se tordant les mains ou les frappant l'une contre l'autre.
 
« D'accord, » dit-il enfin en s'arrêtant. « L'homme a assassiné ses frères tout au long de son histoire, et les races sœurs tout au long de sa préhistoire. Supposons que je ne me débarrasse pas de ces faits. Et alors ? »
 
« Alors, examine un peu plus à fond le dossier du criminel. Et les autres espèces – celles qu'on pourrait appeler ses cousines ? Je t'ai parlé d'animaux qu'il avait domestiqués : le bœuf, l'âne, le cheval, le chien, le chat, le cochon. Tu sais ce que recouvre ce mot de domestication ? La castration d'un côté, l'hybridation de l'autre. Il enlevait aux petits le lait de leur mère. Il leur enlevait la peau du corps, il détachait la viande des os, pour ses besoins économiques, et dressait un animal à en conduire d'autres de sa propre espèce au massacre. Il déformait une créature à tel point qu'elle devenait la caricature comique d'elle-même – il en fut ainsi avec les chiens. Il enlevait son but au processus de la génération, de sorte que l'animal devenait une usine vivante d'œufs infertiles – il en fut ainsi avec les poules. Il enlevait à l'animal toute dignité, pour s'en servir dans ses sports – il en fut ainsi avec les chevaux et les taureaux.
 
« Ne ris pas, Éric. Tu penses toujours à la lutte de l'homme pour survivre, mais je parle du très ancien sens moral de l'homme. Quand tu commets tous ces crimes, envers des créatures vivantes, envers des races sœurs, envers tes frères, quand tu fais tout cela pendant des millénaires et des millénaires, tout en étudiant la question du bien et du mal, du juste et de l'injuste, de la bonté et de la cruauté, quand tu fais toutes ces choses comme ton père les a faites, et son père avant lui, tu veux me faire croire que, quelle que soit la défense présentée pour ta justification, qu'elle soit tirée de la science, de la philosophie, ou de la politique, tu veux me faire croire que tu ne te sentiras pas coupable, toujours et partout, quand tu te tiendras nu et frissonnant en présence de ta conscience ? Tu ne sentiras pas que tu as accumulé une dette terrible envers l'univers dans lequel tu vis, et que la facture te sera peut-être un jour présentée par une autre espèce, un peu plus forte que la tienne, un peu plus intelligente, et tout à fait différente ? Et qu'alors cette nouvelle espèce te fera ce que tu as fait aux autres espèces depuis le début de ta vie sur cette planète ? Et que, si ce que tu as fait quand tu en avais le pouvoir était justifié, alors, ce qui te sera fait quand tu auras perdu le pouvoir sera certainement doublement, triplement justifié ? »
 
Rachel étendit les bras en croix et se tut. Éric regarda sa poitrine haletante et ruisselante de sueur. Puis il suivit la direction de son regard, et considéra une fois de plus les cages remplies d'êtres humains qui parsemaient l'espace lumineux au-dessous d'eux, des cages, des cages, et encore des cages à l'infini.

Source

William Tenn, Des Hommes et des Monstres (Of Men and Monsters, 1963-1968), Galaxie bis n°16, 1970, traduction Simone Hilling, pp.193-195

Lien utile

Page publiée en 2016 à consulter pour une analyse et des réflexions complémentaires (attention, spoilers !) :

Jean-Michel Archaimbault
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💬Commentaires

1.Posté par Jean Christophe GAPDY le 06/04/2021 09:12 | Alerter
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JCGapdy
Excellent souvenir que de retrouver ce texte, que j'avoue avoir grandement oublié. Il faudra que je le retrouve.
Merci de cet chronique.

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