📚 La Volonté du Roi Krogold suivi de La Légende du Roi René | Louis-Ferdinand Céline | 2021

ℹ️ Pages retrouvées en 2021 donnant lieu à la publication de textes inédits

02/12/2025
Lu 47 fois




Quatrième de couverture

« La Volonté du Roi Krogold » suivi de « La Légende du Roi René » © Editions Galimard
« Et la mort tout doucement saisit le prince. Son poids s’était échappé… et il ne se défendait plus. Un beau rêve l’emporta, le rêve qu’il faisait quand il était petit, dans son berceau de fourrures. Dans la chambre des héritiers, près de sa nourrice la Morave en haut, tout en haut du beffroi, dans le château du Roi Krogold. »

Réunis dans leurs seules versions connues à ce jour, La Légende du Roi René et La Volonté du Roi Krogold constituent la mythologie gaélique « mi-rime mi-prose » à laquelle Céline tenait tant. Dans un « Moyen Âge d’opéra », entre la Bretagne et la Scandinavie, on découvre le récit de la guerre menée par le Roi Krogold contre le prince félon Gwendor, le meurtre du procureur Morvan par le trouvère Thibaut et la passion de Joad pour la belle Wanda.

Genres : contes, légendes

Fiche de lecture

Navadavouille ! Que vient faire Louis-Ferdinand Céline sur le Galion !? « Le » Louis-Ferdinand Céline, auteur de « Voyage au bout de la nuit », célèbre pour son style très oral et son rôle des plus interlopes dans l’Histoire de France.

Il a toute sa place, justement, et ce diptyque « Krogold/René » le démontre.

À partir de manuscrits laissés par un Céline fuyant la France en 1944 face à l’avancée alliée (ils seront partiellement retrouvés en 2021), se fait jour le grand projet de fresque néo-médiévale de Céline. Refusé par son éditeur, le projet a été recyclé sous forme de fragments dans le reste de son œuvre, dont le « Voyage » et « Mort à crédit », dans la bouche et l’esprit parfois torturés de Ferdinand Bardamu.

C’est donc une œuvre éparpillée, incomplète mais fascinante qui s’offre au lecteur. Elle s’organise en trois axes : la croisade du roi Krogold contre son félon vassal Gwendor, le meurtre du procureur du Parlement de Bretagne, Morvan, par Thibaut, l’ami de son fils Joad, lui-même amoureux de Wanda.

Bien que peu connaisseur de l’œuvre de Céline, j’ai apprécié son style gouailleur mêlé aux codes de la chanson de geste : nous sommes plongés dans un Moyen Âge de fiction, où la Bretagne voisine la Scandinavie avec des touches d’argot, forcément cher à l’auteur.

Entre les marais puants et hallucinés où Krogold prépare sa vengeance, le dialogue mémorable entre un Gwendor agonisant, suppliant la Camarde (ou plutôt « la Connarde » comme la nomme Céline) de lui laisser encore un peu de temps, en passant par la quête mortifère de Thibaut rudoyé par un nautonier grande gueule ou jouant les soudards dans une maison de tolérance, le style peut être un peu lourd mais fait vivre les personnages.

Et surtout, l’incomplétude du texte, ses trous, ses lacunes dues tant à l’histoire du manuscrit qu’à celle d’un auteur en fuite, apportent une perspective très intéressante : à l’heure où nombre d’univers de fiction veulent tout expliquer par des prologues et des suites, le diptyque « Krogold/René » laisse la place à l’incertitude, à la perte et à l’incompréhension. J’avais déjà fort aimé cela dans Les Oubliés de l’Amas  et sa chronologie en gruyère. On ne sait pas tout, on ne comprend pas tout… Mais qu’est-ce que c’est jouissif !

Bien sûr, le texte est accompagné d’un appareil critique (annexes, notes de bas de page) de savants esprits voulant combler les trous.

On peut cependant « zapper » cet appareil critique pour profiter d’un texte unique qui, à l’instar de La Gloire de l’Empire et de Civilizations, dont j’ai déjà pu traiter dans les cales du Galion, montre que le champ de la « grande » littérature et celui des mondes de l’imaginaire ne sont pas si éloignés !

Copyright @ Jacques Bellezit pour Le Galion des Etoiles. Tous droits réservés. En savoir plus sur cet auteur