Synopsis
Dans un pays et une Ă©poque indĂ©terminĂ©s, il existe une zone interdite, fermĂ©e et gardĂ©e militairement. On dit qu'elle abrite une chambre exauçant les dĂ©sirs secrets des hommes et quâelle est nĂ©e de la chute d'une mĂ©tĂ©orite, il y a bien longtemps. Les autoritĂ©s ont aussitĂŽt isolĂ© le lieu, mais certains, au pĂ©ril de leur vie, bravent lâinterdiction. Leurs guides se nomment les Stalker, ĂȘtres dĂ©classĂ©s, rejetĂ©s, qui seuls connaissent les piĂšges de la zone, en perpĂ©tuelle mutationâŠ
Présentation
Je devais avoir vingt ans quand j'ai vu ce film.
Je n'avais pas lu le roman des frĂšres Strougatski Stalker : Pique-nique au bord du chemin. Je l'ai lu plus tard.
Je n'imaginais pas Ă quel point ce film allait me marquer. Et encore aujourd'hui, quarante ans plus tard. C'est Ă©trange d'ailleurs comme il suffit d'une impression, d'une image, d'un son, d'une ambiance, du passage d'un roman. Et mĂȘme â ĂŽ plaisir immense - de ce que parfois je parviens Ă Ă©crire, pour rĂ©activer la mĂ©moire et que jaillisse le souvenir flou, Ă©trange, presque onirique de ce film.
La lenteur est si prĂ©sente, entĂȘtante, hypnotique qu'elle en devient un rythme adorĂ©. Il faudrait presque pouvoir regarder ce film dans un Ă©tat de rĂȘve ou accepter que le film gĂ©nĂšre lui-mĂȘme cet Ă©tat. Mais alors qu'est-ce qui rend, Ă mes yeux, ce film si fascinant pour que sa lenteur ne soit aucunement rĂ©dhibitoire mais une nĂ©cessitĂ© ?
Les images assurĂ©ment, parce que je n'avais jamais rien vu de tel avant ce film. Chaque plan est une Ćuvre d'art.
C'est lorsque j'ai vu les films de Terrence Malick que j'ai enfin retrouvĂ© la beautĂ© infinie des images de Tarkovski. Et la dimension mĂ©taphysique, l'arborescence gigantesque que le rĂ©cit gĂ©nĂšre dans l'esprit, parce que malgrĂ© cet Ă©tat de rĂȘve inhĂ©rent aux images, la recherche de sens est inĂ©vitable.
Il existe maintes analyses de ce film sur la Toile. Il faut savoir que Tarkovski a considĂ©rablement marquĂ© l'histoire du cinĂ©ma avec cette Ćuvre. Et que beaucoup de cinĂ©astes lui portent une estime immense.
Je lisais tous les livres de Krishnamurti Ă cette Ă©poque. « Se libĂ©rer du connu » ne me quittait pas. Quel est le rapport avec ce film ? Il s'agit lĂ aussi de se libĂ©rer du connu, de ne rien chercher d'identifiable, aucune rĂ©fĂ©rence, aucune similitude parce que l'esthĂ©tisme est au-delĂ du connu. La quĂȘte du sens elle-mĂȘme, si elle se tourne vers des rĂ©fĂ©rences connues, crĂ©e une entrave, une enceinte, une limite. Il faut se laisser porter, comme on le fait dans un rĂȘve qu'on ne maĂźtrise aucunement et dont on ne cherche pas Ă sortir. Je sais que jâai cherchĂ© Ă saisir les messages durant le film mais je sais aussi que parfois, jâai quittĂ© la sphĂšre intellectuelle, totalement, comme hypnotisĂ©, avalĂ©, absorbĂ© par lâambiance. Jâai lĂąchĂ© prise et câest ce qui donne Ă ce film une puissance incomparable. Il ne sâagit pas dâun cheminement intellectuel mais avant tout dâune voie esthĂ©tique et cet esthĂ©tisme gĂ©nĂšre un Ă©tat qui est au-delĂ de la rĂ©flexion. Et câest lĂ que le sens se rĂ©vĂšle.
Alors qu'est-ce que j'ai compris de ce film, ensuite, quel sens lui ai-je donné ?
La chambre des souhaits est cachĂ©e dans un lieu interdit, un lieu qui pour ĂȘtre rejoint requiert d'accepter de vivre une exploration dangereuse, d'Ă©viter de multiples piĂšges.
La quĂȘte du bonheur relĂšve-t-elle de l'assouvissement des souhaits ? On peut le supposer. Mais encore faut-il que ces souhaits soient justes, c'est-Ă -dire honorables et qu'ils ne soient pas trahis par des souhaits Ă©gotiques et intĂ©ressĂ©s.
Dans le film, l'histoire d'un ancien stalker est évoqué. Il est mort pendant une exploration et son frÚre qui a pris la relÚve a décidé de rejoindre la chambre des souhaits pour demander la renaissance de son frÚre aßné et au final, il obtient une somme d'argent considérable. Et une fois que cet argent est en sa possession, il comprend que ce souhait caché était plus puissant que celui qui concernait son frÚre.
Cette « impureté » lui est insupportable et il se suicide.
Sommes-nous, au plus profond, des ĂȘtres purs ?
Une des questions que le film soulĂšve.
La chambre des souhaits ne fonctionne que pour les plus dĂ©munis, ceux qui nâattendent plus rien, qui ont tout perdu, ceux qui ne connaissent plus que le malheur et qui ont abandonnĂ© tout espoir.
Le stalker est un homme torturé qui lutte pour donner un sens à sa vie. La zone, dangereuse et fascinante de beauté et de mystÚres, lui offre le lieu de son élévation.
J'étais amoureux des montagnes à cette époque, passionné par l'alpinisme. Une zone fascinante et dangereuse, une zone qui réclame des rituels, des techniques, des maßtrises, des apprentissages, une exploration qui cumule les déboires et les bonheurs, les doutes et les certitudes, les intuitions et les manques de lucidité, une zone qui élÚve et qui détruit, parfois.
Est-ce qu'il faut ĂȘtre un alpiniste pour aimer ce film ? Non, bien Ă©videmment. Peut-ĂȘtre, par contre, faut-il considĂ©rer l'existence comme une exploration fascinante et parfois dangereuse et que l'acceptation du danger est une clause du contrat. La chambre des souhaits symbolise-t-elle l'objectif que l'on se fixe, au fil du temps, selon les circonstances ? L'essentiel ne serait-il pas dĂšs lors de s'interroger Ă chaque Ă©tape sur la justesse de ce souhait.
Est-ce qu'il Ă©tait juste et donc honorable que je risque ma vie pour atteindre un sommet ? Ce que je retirais de l'expĂ©rience compensait-il la menace ? Oui, je l'ai toujours pensĂ© jusqu'au jour de la naissance de notre fille. LĂ , ce souhait n'Ă©tait plus juste, ni honorable. Et j'ai arrĂȘtĂ©.
Tarkovski ne parle pas de ça. Mais ce film m'en parlait.
Et c'est lĂ toute l'extraordinaire richesse de l'art quand il atteint des sommets. Lui aussi.
Ce film parle de la foi, non pas la foi religieuse, mais de la foi en soi, la capacitĂ© Ă se transcender mais aussi Ă se contenir. Les trois personnages du film sont des ĂȘtres tiraillĂ©s, imparfaits, complexes. Nous le sommes tous.
Il s'agit de l'espoir aussi. L'espoir d'une vie meilleure, d'une vie accomplie, d'une vie utile, d'une vie qui transcende.
Est-ce qu'il est indispensable de s'engager dans des explorations redoutables alors que la contemplation d'un lac et de la verdure qui l'environne apaise autant que le sein d'une mĂšre qui allaite ?
La derniĂšre fois que Stalker m'est revenu en mĂ©moire, c'Ă©tait devant un lac de la Creuse. « Que l'importance soit dans ton regard, non dans la chose regardĂ©e » Ă©crivait AndrĂ© Gide. VoilĂ aussi ce que Stalker enseigne. Saisir la beautĂ© et donc se libĂ©rer du connu, c'est-Ă -dire dĂ©sapprendre ce que l'on sait pour regarder avec lâĆil de l'enfant qui dĂ©couvre. Regarde-t-on encore la nature ? Non pas uniquement un coucher de soleil, lâocĂ©an depuis la plage, une montagne enneigĂ©e mais Ă©galement une goutte d'eau au bout d'un brin d'herbe, la traversĂ©e dĂ©terminĂ©e d'un scarabĂ©e sur le chemin, le vol dĂ©lurĂ© d'un papillon, est-ce qu'on Ă©coute le silence, le souffle du vent dans les arbres, le chant d'un oiseau, le cristal du ruisseau ? Non pas voir ou Ă©couter en rĂ©pĂ©tant un acte dĂ©jĂ accompli mais voir, Ă©couter, sentir, toucher comme si c'Ă©tait la premiĂšre fois, comme lors d'une dĂ©couverte, comme au premier jour de chaque chose.
C'est ça pour moi Stalker au-delĂ de tous les mystĂšres qui s'y trouvent, de toutes les images qu'il faudrait comprendre, de toutes les paroles qu'il faudrait retenir, pour les dissĂ©quer et en saisir le sens le plus infime. Il s'agit de se laisser porter. D'Ă©couter les pas du Stalker dans le tunnel tapissĂ© dâeau et de devenir ses pas.
Stalker est un voyage hors du temps, dans un espace inconnu, qu'il ne faut pas chercher Ă tout prix Ă cartographier au risque d'en perdre la magie.
Cet espace d'ailleurs est un personnage Ă lui tout seul, il a une existence, des sons, des couleurs, des silences : la maison du Stalker, le village, le bar, des images en noir et blanc, les usines, la voie de chemin de fer, puis la zone, les couleurs qui jaillissent, les forĂȘts, les prĂ©s, un ruisseau, la mousse sur des roches, les tunnels oĂč l'eau suinte continuellement, la salle avec les dunes de sable, les couloirs sombres, tout est d'une incroyable beautĂ©, un esthĂ©tisme sidĂ©rant.
J'imagine Terrence Malick au cinĂ©ma, auscultant Stalker. Un film que l'on trouve rĂ©pertoriĂ© dans les registres fantastique, science-fiction, drame, aventure. On pourrait ajouter mystique, Ă©sotĂ©rique, philosophique. Jâimagine Tarkovski adepte du panthĂ©isme tant la nature est emplie de vie, dâesprit, une matiĂšre au-delĂ de la matiĂšre.
Un film des annĂ©es 1970 oĂč ne se trouve aucune image de synthĂšse, aucun humanoĂŻde, pas d'effets spĂ©ciaux, aucune scĂšne d'action, aucun combat, aucune explosion, mais une ambiance inconnue jusqu'alors et c'est ce qui explique l'aura qui entoure cette Ćuvre. Tarkovski disait dâailleurs en parlant de Solaris, un de ses films, celui quâil aimait le moins : « Les stations orbitales, les appareils, tout cela m'agace profondĂ©ment. Les trucs modernes et technologiques sont pour moi des symboles de l'erreur de l'homme. »
Effectivement, toute la technologie visible dans Stalker est dĂ©gradĂ©e, abandonnĂ©e, bringuebalante, en ruines, effondrĂ©e ou sur le point de lâĂȘtre. Les empreintes humaines sont des dĂ©gradations. La nature garde par contre son aspect originel malgrĂ© tout ce qui la souille. La nature envahit, recouvre, dissout, inonde, dĂ©labre, dĂ©mantĂšle, sa puissance prend sa source dans la patience qui est en elle. Rien ne lui rĂ©siste. Les constructions humaines sont pĂ©rissables. Y chercher le sens de la vie, câest se condamner Ă lâerrance. Et il y a longtemps maintenant que lâhumanitĂ© sâest Ă©garĂ©e.
Je n'avais pas lu le roman des frĂšres Strougatski Stalker : Pique-nique au bord du chemin. Je l'ai lu plus tard.
Je n'imaginais pas Ă quel point ce film allait me marquer. Et encore aujourd'hui, quarante ans plus tard. C'est Ă©trange d'ailleurs comme il suffit d'une impression, d'une image, d'un son, d'une ambiance, du passage d'un roman. Et mĂȘme â ĂŽ plaisir immense - de ce que parfois je parviens Ă Ă©crire, pour rĂ©activer la mĂ©moire et que jaillisse le souvenir flou, Ă©trange, presque onirique de ce film.
La lenteur est si prĂ©sente, entĂȘtante, hypnotique qu'elle en devient un rythme adorĂ©. Il faudrait presque pouvoir regarder ce film dans un Ă©tat de rĂȘve ou accepter que le film gĂ©nĂšre lui-mĂȘme cet Ă©tat. Mais alors qu'est-ce qui rend, Ă mes yeux, ce film si fascinant pour que sa lenteur ne soit aucunement rĂ©dhibitoire mais une nĂ©cessitĂ© ?
Les images assurĂ©ment, parce que je n'avais jamais rien vu de tel avant ce film. Chaque plan est une Ćuvre d'art.
C'est lorsque j'ai vu les films de Terrence Malick que j'ai enfin retrouvĂ© la beautĂ© infinie des images de Tarkovski. Et la dimension mĂ©taphysique, l'arborescence gigantesque que le rĂ©cit gĂ©nĂšre dans l'esprit, parce que malgrĂ© cet Ă©tat de rĂȘve inhĂ©rent aux images, la recherche de sens est inĂ©vitable.
Il existe maintes analyses de ce film sur la Toile. Il faut savoir que Tarkovski a considĂ©rablement marquĂ© l'histoire du cinĂ©ma avec cette Ćuvre. Et que beaucoup de cinĂ©astes lui portent une estime immense.
Je lisais tous les livres de Krishnamurti Ă cette Ă©poque. « Se libĂ©rer du connu » ne me quittait pas. Quel est le rapport avec ce film ? Il s'agit lĂ aussi de se libĂ©rer du connu, de ne rien chercher d'identifiable, aucune rĂ©fĂ©rence, aucune similitude parce que l'esthĂ©tisme est au-delĂ du connu. La quĂȘte du sens elle-mĂȘme, si elle se tourne vers des rĂ©fĂ©rences connues, crĂ©e une entrave, une enceinte, une limite. Il faut se laisser porter, comme on le fait dans un rĂȘve qu'on ne maĂźtrise aucunement et dont on ne cherche pas Ă sortir. Je sais que jâai cherchĂ© Ă saisir les messages durant le film mais je sais aussi que parfois, jâai quittĂ© la sphĂšre intellectuelle, totalement, comme hypnotisĂ©, avalĂ©, absorbĂ© par lâambiance. Jâai lĂąchĂ© prise et câest ce qui donne Ă ce film une puissance incomparable. Il ne sâagit pas dâun cheminement intellectuel mais avant tout dâune voie esthĂ©tique et cet esthĂ©tisme gĂ©nĂšre un Ă©tat qui est au-delĂ de la rĂ©flexion. Et câest lĂ que le sens se rĂ©vĂšle.
Alors qu'est-ce que j'ai compris de ce film, ensuite, quel sens lui ai-je donné ?
La chambre des souhaits est cachĂ©e dans un lieu interdit, un lieu qui pour ĂȘtre rejoint requiert d'accepter de vivre une exploration dangereuse, d'Ă©viter de multiples piĂšges.
La quĂȘte du bonheur relĂšve-t-elle de l'assouvissement des souhaits ? On peut le supposer. Mais encore faut-il que ces souhaits soient justes, c'est-Ă -dire honorables et qu'ils ne soient pas trahis par des souhaits Ă©gotiques et intĂ©ressĂ©s.
Dans le film, l'histoire d'un ancien stalker est évoqué. Il est mort pendant une exploration et son frÚre qui a pris la relÚve a décidé de rejoindre la chambre des souhaits pour demander la renaissance de son frÚre aßné et au final, il obtient une somme d'argent considérable. Et une fois que cet argent est en sa possession, il comprend que ce souhait caché était plus puissant que celui qui concernait son frÚre.
Cette « impureté » lui est insupportable et il se suicide.
Sommes-nous, au plus profond, des ĂȘtres purs ?
Une des questions que le film soulĂšve.
La chambre des souhaits ne fonctionne que pour les plus dĂ©munis, ceux qui nâattendent plus rien, qui ont tout perdu, ceux qui ne connaissent plus que le malheur et qui ont abandonnĂ© tout espoir.
Le stalker est un homme torturé qui lutte pour donner un sens à sa vie. La zone, dangereuse et fascinante de beauté et de mystÚres, lui offre le lieu de son élévation.
J'étais amoureux des montagnes à cette époque, passionné par l'alpinisme. Une zone fascinante et dangereuse, une zone qui réclame des rituels, des techniques, des maßtrises, des apprentissages, une exploration qui cumule les déboires et les bonheurs, les doutes et les certitudes, les intuitions et les manques de lucidité, une zone qui élÚve et qui détruit, parfois.
Est-ce qu'il faut ĂȘtre un alpiniste pour aimer ce film ? Non, bien Ă©videmment. Peut-ĂȘtre, par contre, faut-il considĂ©rer l'existence comme une exploration fascinante et parfois dangereuse et que l'acceptation du danger est une clause du contrat. La chambre des souhaits symbolise-t-elle l'objectif que l'on se fixe, au fil du temps, selon les circonstances ? L'essentiel ne serait-il pas dĂšs lors de s'interroger Ă chaque Ă©tape sur la justesse de ce souhait.
Est-ce qu'il Ă©tait juste et donc honorable que je risque ma vie pour atteindre un sommet ? Ce que je retirais de l'expĂ©rience compensait-il la menace ? Oui, je l'ai toujours pensĂ© jusqu'au jour de la naissance de notre fille. LĂ , ce souhait n'Ă©tait plus juste, ni honorable. Et j'ai arrĂȘtĂ©.
Tarkovski ne parle pas de ça. Mais ce film m'en parlait.
Et c'est lĂ toute l'extraordinaire richesse de l'art quand il atteint des sommets. Lui aussi.
Ce film parle de la foi, non pas la foi religieuse, mais de la foi en soi, la capacitĂ© Ă se transcender mais aussi Ă se contenir. Les trois personnages du film sont des ĂȘtres tiraillĂ©s, imparfaits, complexes. Nous le sommes tous.
Il s'agit de l'espoir aussi. L'espoir d'une vie meilleure, d'une vie accomplie, d'une vie utile, d'une vie qui transcende.
Est-ce qu'il est indispensable de s'engager dans des explorations redoutables alors que la contemplation d'un lac et de la verdure qui l'environne apaise autant que le sein d'une mĂšre qui allaite ?
La derniĂšre fois que Stalker m'est revenu en mĂ©moire, c'Ă©tait devant un lac de la Creuse. « Que l'importance soit dans ton regard, non dans la chose regardĂ©e » Ă©crivait AndrĂ© Gide. VoilĂ aussi ce que Stalker enseigne. Saisir la beautĂ© et donc se libĂ©rer du connu, c'est-Ă -dire dĂ©sapprendre ce que l'on sait pour regarder avec lâĆil de l'enfant qui dĂ©couvre. Regarde-t-on encore la nature ? Non pas uniquement un coucher de soleil, lâocĂ©an depuis la plage, une montagne enneigĂ©e mais Ă©galement une goutte d'eau au bout d'un brin d'herbe, la traversĂ©e dĂ©terminĂ©e d'un scarabĂ©e sur le chemin, le vol dĂ©lurĂ© d'un papillon, est-ce qu'on Ă©coute le silence, le souffle du vent dans les arbres, le chant d'un oiseau, le cristal du ruisseau ? Non pas voir ou Ă©couter en rĂ©pĂ©tant un acte dĂ©jĂ accompli mais voir, Ă©couter, sentir, toucher comme si c'Ă©tait la premiĂšre fois, comme lors d'une dĂ©couverte, comme au premier jour de chaque chose.
C'est ça pour moi Stalker au-delĂ de tous les mystĂšres qui s'y trouvent, de toutes les images qu'il faudrait comprendre, de toutes les paroles qu'il faudrait retenir, pour les dissĂ©quer et en saisir le sens le plus infime. Il s'agit de se laisser porter. D'Ă©couter les pas du Stalker dans le tunnel tapissĂ© dâeau et de devenir ses pas.
Stalker est un voyage hors du temps, dans un espace inconnu, qu'il ne faut pas chercher Ă tout prix Ă cartographier au risque d'en perdre la magie.
Cet espace d'ailleurs est un personnage Ă lui tout seul, il a une existence, des sons, des couleurs, des silences : la maison du Stalker, le village, le bar, des images en noir et blanc, les usines, la voie de chemin de fer, puis la zone, les couleurs qui jaillissent, les forĂȘts, les prĂ©s, un ruisseau, la mousse sur des roches, les tunnels oĂč l'eau suinte continuellement, la salle avec les dunes de sable, les couloirs sombres, tout est d'une incroyable beautĂ©, un esthĂ©tisme sidĂ©rant.
J'imagine Terrence Malick au cinĂ©ma, auscultant Stalker. Un film que l'on trouve rĂ©pertoriĂ© dans les registres fantastique, science-fiction, drame, aventure. On pourrait ajouter mystique, Ă©sotĂ©rique, philosophique. Jâimagine Tarkovski adepte du panthĂ©isme tant la nature est emplie de vie, dâesprit, une matiĂšre au-delĂ de la matiĂšre.
Un film des annĂ©es 1970 oĂč ne se trouve aucune image de synthĂšse, aucun humanoĂŻde, pas d'effets spĂ©ciaux, aucune scĂšne d'action, aucun combat, aucune explosion, mais une ambiance inconnue jusqu'alors et c'est ce qui explique l'aura qui entoure cette Ćuvre. Tarkovski disait dâailleurs en parlant de Solaris, un de ses films, celui quâil aimait le moins : « Les stations orbitales, les appareils, tout cela m'agace profondĂ©ment. Les trucs modernes et technologiques sont pour moi des symboles de l'erreur de l'homme. »
Effectivement, toute la technologie visible dans Stalker est dĂ©gradĂ©e, abandonnĂ©e, bringuebalante, en ruines, effondrĂ©e ou sur le point de lâĂȘtre. Les empreintes humaines sont des dĂ©gradations. La nature garde par contre son aspect originel malgrĂ© tout ce qui la souille. La nature envahit, recouvre, dissout, inonde, dĂ©labre, dĂ©mantĂšle, sa puissance prend sa source dans la patience qui est en elle. Rien ne lui rĂ©siste. Les constructions humaines sont pĂ©rissables. Y chercher le sens de la vie, câest se condamner Ă lâerrance. Et il y a longtemps maintenant que lâhumanitĂ© sâest Ă©garĂ©e.



