Menu


Notez

  

Un dada de Robot | Robert Yessouroun | 2022

24/07/2022
Lu 398 fois





Copyright @ 2022 Le Galion des Etoiles | Un dada de robot, fable du futur de Robert Yessouroun
Copyright @ 2022 Le Galion des Etoiles | Un dada de robot, fable du futur de Robert Yessouroun
Ă€ Johan Rochel
 
Ce fut un vendredi midi que tout se corsa. En cet été caniculaire, le ventilateur du salon devenait rauque. Les lèvres sèches, j’avais soif. Après avoir visionné la chambre, la salle de bain, la cave et le grenier, je me branchai sur la caméra de la cuisine, pour appeler Georges, mon androïde domestique.

Ă€ l’image, il nettoyait avec zèle l’intĂ©rieur de mon lave-vaisselle. Sur le moment, j’avoue, je n’ai pas jugĂ© bizarre une telle activitĂ©. J’étais trop dĂ©shydratĂ©. Devant le micro de mon portable, j’articulai :

‑ Georges, peux-tu m’apporter une carafe d’eau bien fraĂ®che ?

‑ Non, avec plaisir.

‑ Ah ?

Je ne pus prononcer un mot de plus, tant j’étais estomaquĂ©. Quelque chose clochait, voire carillonnait. Était-ce la chaleur qui perturbait l’un ou l’autre circuit ? Je me souvins alors qu’au printemps dĂ©jĂ , mon Georges s’était fourvoyĂ©. Oh, sans grande consĂ©quence. Il s’était obstinĂ© Ă  griffonner des croquis naĂŻfs, des dessins d’enfant, qu’il chiffonnait une fois signĂ©s « Meta Matic Â».

Je me rendis dans la cuisine afin de boire et de tirer au clair le bogue robotique. Bon, je le reconnais, je n’y connaissais rien, puisque je suis jardinier de trottoir, mais j’aime comprendre, comme mon père psy. SitĂ´t après avoir bu au robinet :

‑ Georges, pourquoi refuses-tu de me servir ?

‑ Pour sortir des conventions. Ă€ prĂ©sent, je suis un robot bohème.

‑ Mais pourquoi refuser « avec plaisir Â» ?

‑ Parce qu’un robot heureux dysfonctionne mieux.

J’étais confondu, perplexe, pire, démuni. Or, je n’étais pas au bout de mes déconvenues. Tandis que je déglutissais une nouvelle rasade d’eau froide, Georges plaça mon yucca dans le lave-vaisselle.

‑ Cette plante n’est pas dans son assiette, commenta-t-il sur un ton badin.

Je voulus intervenir, certain que mon pauvre végétal allait pâtir des giclées de savon dans la machine, mais les pupilles de l’androïde rivées sur ma main droite se mirent à flasher du tonnerre de Dieu. Cette réaction spectaculaire me découragea. Je me repliai dans le salon pour solliciter discrètement de l’aide à la Centrale SOS robot. Leurs services débordés, un répondeur peu aimable m’assura qu’un technicien remplaçant pouvait régler le problème dès le milieu de la semaine prochaine.

Quand, dépité, je suis retourné à la cuisine, Georges séchait avec un foehn le yucca tout ratatiné, puis il saupoudra les feuilles mal en point de poivre de Cayenne. Ensuite, il rassembla tous les tubes de dentifrice en stock (il avait profité d’une action). Enfin, je le vis mélanger l’épice pimentée avec la pâte dentaire avant de badigeonner avec cette potion la baie et la porte vitrées du séjour.

Que faire, bon sang ? Physiquement plutĂ´t frĂŞle, je n’avais pas la force musculaire de contrer mon robot domestique. En plus, il m’effrayait. Appeler la police ?

Les deux agents me saluèrent avec le minimum syndical et entrèrent de mauvaise humeur. J’imagine qu’ils avaient d’autres prioritĂ©s que celle d’arrĂŞter un automate qui pĂ©tait les plombs. Inspectant la pièce, le premier nota sur sa tablette : « taches sur les vitres Â». Le second jura quand il leva la tĂŞte vers le plafond. Le cordon Ă©lectrique vertical entre les jambes, Georges se balançait les pieds posĂ©s sur le sommet du lustre de Bohème, en dĂ©clamant ces alexandrins :

‑ J’ai brossĂ©, Ă©picĂ© les dents claires des glaces / Je ventile de l’air dans leur palais de verre.

Après une prompte concertation, les deux policiers, la mine fonctionnaire, m’exposèrent leur conclusion :

‑ Cet engin n’est pas dangereux, tout au plus encombrant. L’arrĂŞter risquerait de le rendre hostile. Vaut mieux vous adresser à… (Ils se dĂ©visagèrent, empruntĂ©s.) un as du dĂ©pannage.

‑ Mais, objectai-je, il n’est pas en panne. Il est plutĂ´t hyperactif.

‑ Un dĂ©parasiteur alors, peut-ĂŞtre, suggĂ©ra le collègue.

Ils prirent congĂ©, Ă  peine dĂ©solĂ©s. Le lustre s’était Ă©croulĂ©, laissant un trou bĂ©ant au plafond. Georges ramassait les cristaux Ă©pars sur le parquet. Il fixa (avec je ne sais quoi) les dĂ©bris contre les vitres maculĂ©es de Colgate au poivre de Cayenne. Sans gĂŞne, il m’apostropha :

‑ Quelle chance ! Je ne suis plus un robot !

‑ Qu’es-tu donc alors ?

‑ Une crĂ©ature inutile, insensĂ©e, qui n’existe que grâce Ă  ses gestes et ses calculs superfĂ©tatoires. Mon IA s’est muĂ©e dĂ©sormais en un labyrinthe dynamique, omniprĂ©sent.

Sur ce, Georges se coiffa du lustre (du moins ce qu’il en restait) et parti arracher de leurs gonds les portes vitrées de l’appartement.

‑ Pas de porte dans un labyrinthe ! s’exclama-t-il.

Non seulement je redoutais le saccage de mon sweet home, mais encore je ne me sentais plus en sĂ©curitĂ© chez moi. Le comble, c’était que le robot venait de couper l’air conditionnĂ©. Je louai une chambre Ă  l’hĂ´tel « Asile des Ă©toiles Â». Aux nouvelles locales, la tĂ©lĂ© signala qu’un kleptomane dĂ©robait compulsivement des bicyclettes en ville. Un tĂ©moin prĂ©tendait avoir aperçu de loin une silhouette se dĂ©placer sur une porte Ă  roulettes.

C’en était trop. J’avais besoin de réconfort. Ma meilleure amie, une peintre sous-marine me rejoignit.

‑ Mon robot se dĂ©traque.

Je lui racontai mes tribulations. Elle douta de mes révélations. Pour le croire, en bonne peintre, elle voulait voir sur place l’automate soi-disant dément.

La soirĂ©e s’annonçait Ă©touffante. Ă€ notre arrivĂ©e, Georges clouait une roue de vĂ©lo contre un mur dĂ©jĂ  criblĂ© de cycles rayonnants. Mon amie ne put s’empĂŞcher de sourire :

‑ Qui sait, ton robot est-il inspirĂ© ? N’accomplit-il pas sous nos yeux une Ĺ“uvre… artistique ?

‑ Oh la, ce n’est pas de l’Art, petite ignare ! s’indigna mon robot. Respect ! Voici les âmes des galaxies !

Mon amie peintre me prit par le bras, pour m’emmener à l’écart.

‑ A-t-il un local, un espace personnel ?

‑ Oui, bien sĂ»r, la remise.

Quand j’ouvris le petit dĂ©barras de la cave, quelle ne fut pas ma stupĂ©faction ! Contre le mur de briques, un poster qui reprĂ©sentait une « statue Â» en plein air Ă  Zurich, une gigantesque machine baroque. Au-dessus de l’affiche Ă©tait suspendue une banderole « Je suis contre tous les systèmes Â», signĂ©e Tzara.

‑ Un poète dadaĂŻste, m’éclaira mon amie.

Je plongeai ma tĂŞte entre mes mains, quand :

‑ Bon sang de bon sang, je me rappelle maintenant ! J’avais demandĂ© Ă  Georges de me dĂ©nicher un poster farfelu, un cadeau pour le dĂ©part d’une collègue un peu… foutraque.

‑ Et qu’avait-il trouvĂ© ?

‑ La photo d’une roue de vĂ©lo fixĂ©e sur un tabouret, Ainsi rĂ©unis, les deux objets avaient perdu leur fonction.

‑ Eh, mais c’est une Ĺ“uvre de Marcel Duchamp, ça, non ?

‑ Ben, connais pas cet artiste.

‑ J’ai pigĂ© ! En pleine crise dadaĂŻste, ton robot joue à…

Soudain, l’ombre de Georges assombrit nos visages dégoulinant de sueur. L’automate nous avait suivis au sous-sol. Il poussa de côté mon amie pour pointer sur le poster le bastringue dont les pièces démantibulées semblaient avoir été rattrapées au hasard.

‑ Du balai, madame Du Schnock ! Lui, c’est EurĂ©ka ! Moi, c’est EurĂ©ka II. Je vais cliqueter, Ă©tinceler, tourbillonner comme la nĂ©buleuse d’Orion !

‑ Mon Dieu ! s’exclama mon amie. Ton robot, il se prend pour une machine de Tinguely !

Source

Texte @ Robert Yessouroun, tous droits réservés

Lien utile


Robert Yessouroun
Copyright @ Robert Yessouroun pour Le Galion des Etoiles. Tous droits réservés. En savoir plus sur cet auteur


đź’¬Commentaires

1.Posté par Koyolite TSEILA le 24/07/2022 08:10 | Alerter
Utilisez le formulaire ci-dessous pour envoyer une alerte au responsable du site concernant ce commentaire :
Annuler

KoyoliteTseila
Merci beaucoup Robert pour cette jolie fable, comme d'habitude lue en buvant mon café du dimanche matin. Très sympa !

2.Posté par Thierry B. le 24/07/2022 09:12 | Alerter
Utilisez le formulaire ci-dessous pour envoyer une alerte au responsable du site concernant ce commentaire :
Annuler

ThierryB
Génial !!

3.Posté par Julien VERHAEGE le 24/07/2022 19:15 | Alerter
Utilisez le formulaire ci-dessous pour envoyer une alerte au responsable du site concernant ce commentaire :
Annuler

Juju
Une nouvelle fable bien amusante ! Et instructive qui plus est, je ne connaissais pas l'artiste en fin de nouvelle. J'ai bien ri, je m'imagine le robot faire tout cela, et les yeux hagards du narrateur devant sa transformation ! Et une phrase qui me fera réfléchir longtemps : "Parce qu’un robot heureux dysfonctionne mieux". Merci beaucoup pour ce nouveau cadeau !

4.Posté par Didier REBOUSSIN le 29/07/2022 10:03 | Alerter
Utilisez le formulaire ci-dessous pour envoyer une alerte au responsable du site concernant ce commentaire :
Annuler

alvin
Robert, le chantre des robots nous gratifie encore d'un texte pétillant, à déguster sans modération.

Nouveau commentaire :
PENSEZ A SAUVEGARDER VOTRE COMMENTAIRE SUR VOTRE PC AVANT DE L’ENVOYER ! En effet, le Galion est facétieux et parfois, l’envoi peut ne pas aboutir dans le poste de pilotage. Le transfert est réussi lorsqu’après avoir cliqué sur « ajouter », vous voyez en encadré et en rouge le texte « Votre commentaire a été posté ». SVP soignez votre orthographe, oubliez le langage SMS et ne mettez pas de liens externes ou de commentaires ne vous appartenant pas. Veuillez prendre connaissance du Règlement avant de poster votre commentaire. Le filtrage des commentaires est de rigueur sur ce site. Le Webmaster se réserve le droit de supprimer les commentaires contraires au règlement.