Une Ăźle sur le lac Majeur | Photo @ 2023 Robert Yessouroun
Ă Monique Guisset
Une brise lĂ©gĂšre souleva les boucles blanches de Gigliola. Comme tous les matins, dĂšs sept heures, son appareil de photo suspendu Ă son cou, la grande dame assise sur son banc jaune contemplait le lac Majeur depuis la berge de Stresa. Quelques canards fendaient les flots lisses. Elle se dĂ©lectait de lâambiance calme, de la lĂ©gĂšretĂ© de lâair. Une fois de plus, elle zooma sur la petite Ăźle, Isola Bella, surmontĂ©e de son palais baroque luxuriant quâun clic de son Nikon captura. Elle avait le sentiment de vivre un temps rĂ©volu, une Ă©poque lointaine, abolie qui sâapparentait Ă une Ăšre paradisiaque.
Une silhouette accourut dâun pas net, aussi rĂ©gulier quâĂ©lĂ©gant : lâandroĂŻde particulier de madame, un robot en long tablier blanc. Sous sa casquette de pilote, son crĂąne Ă©tait boostĂ© dâune IA spĂ©cialisĂ©e dans les services domestiques.
â Aah, PĂ©nato, peux-tu seulement apprĂ©cier cette beautĂ©, cette paix lacustre ?
â HĂ©las, non, maĂźtresse. Mais je comprends ce que vous ressentez. Vous croyez vivre dans un havre de sĂ©rĂ©nitĂ©.
Alors quâelle photographiait une mouette dans le ciel, une rafale soudaine fit dĂ©vier le vol planĂ© du palmipĂšde.
Gigliola dut plisser les yeux : non loin, prĂšs dâun bas stratus, une sorte de croix blanche remuait. Ou une Ă©toile ? Ou un oiseau ? Ses pupilles concentrĂ©es lui causĂšrent un dĂ©but de vertige. StoĂŻque, elle agrandit lâimage dans son viseur⊠HĂ©las, plus rien. Disparu. AvalĂ© par le nuage. Pour sĂ»r, ce nâĂ©tait pas un ONVI. Elle ne croyait pas Ă ces balivernes.
â Vous nâavez pas froid ?
â Apporte-moi le petit lainage laissĂ© sur le fauteuil du salon.
Et elle cadra le vieux rafiot, lâune des navettes qui entamait son tour du lac.
â Quâallez-vous faire de toutes vos photos, maĂźtresse ?
â Imprimer mes prĂ©fĂ©rĂ©es, puis trier parmi celles-ci les plus zen que jâexposerai pour les admirer les jours de pluie.
â Mais⊠les murs manquent de place, saturĂ©s par vos clichĂ©s de la nature piĂ©montaise.
Elle frissonna, avant de passer la main sur le front.
â LĂ , jâai vraiment un peu froid, PĂ©nato.
Soudain, toute courbée, Gigliola quitta son banc jaune.
â Que vous ĂȘtes blĂȘme, maĂźtresse ! Quâest-ce qui vous arrive ?
â Mal auâŠcĆurâŠ
LâandroĂŻde la fit rasseoir.
â Ne bougez pas. Jâappelle un taxi. Quel dommage dâavoir vendu votre voiture !
Pendant la sonnerie interminable, le domestique artificiel la rassura :
â Le chauffeur va vous conduire Ă lâOspedale Madonna del Popolo, Ă Omegna. Câest Ă 23 minutes, sur le lac voisin dâOrta.
La tĂȘte de Gigliola sâinclinait. Mais au bout de la ligne, pas de rĂ©ponse, sauf un refrain « aucun taxi disponible, cause de grĂšve ». Pour ne rien arranger, impossible dâobtenir une ambulance avant le dĂ©lai de deux heures. DĂ©semparĂ©, lâandroĂŻde tournait en rond autour du banc. Nouvelle complication, madame perdit connaissance. Grande agitation du domestique. Mais elle ne reprit pas conscience. Il multiplia les coups de tĂ©lĂ©phone. En vain, jusquâĂ ce que, Ă force dâinsister, il put joindre un confrĂšre, robot pompier, qui, sans hĂ©siter, toute sirĂšne dehors, vint embarquer lâinconsciente dans son camion surmontĂ© dâune grande Ă©chelle.
Le diagnostic : syncope due à un regard trop acéré.
Gigliola sâen voulut, pensant quâelle avait abusĂ© du ravissement visuel. Sortie de lâhĂŽpital, revenue Ă la maison, elle dut se rĂ©soudre, sur recommandation mĂ©dicale, Ă retirer ses photos du mur. Cette mesure drastique lui donnait la nausĂ©e, mais ne devait-elle pas mĂ©nager sa quĂȘte esthĂ©tique ? Selon le docteur, il lui fallait dĂ©sormais orienter ses yeux vers des choses simples, banales, voire un peu crispantes.
Elle redouta lâennui. En attendant, elle ne manqua pas dâassĂ©ner quelques remontrances Ă son androĂŻde en tablier blanc. Il lâĂ©couta, tĂȘte baissĂ©e, la casquette de pilote Ă la main.
â Comment, toi, PĂ©nato, as-tu pu ignorer que les taxis Ă©taient en grĂšve ce jour-lĂ ?
â Faute dâaccĂšs Ă tous les data, maĂźtresse. Je reçois seulement les donnĂ©es liĂ©es Ă mon service domestique quotidien, dans le cadre de vos pĂ©nates.
â Mmh. FĂącheux, çà . Tu as vu comme ma vie entre tes mains devenait risquĂ©e Ă la faveur du moindre Ă©vĂ©nement extraordinaire.
â Certes, certesâŠ
â Eh bien cela va changer, PĂ©nato !
â Bon bug ! Que comptez-vous faire ? demanda le robot sur un ton inquiet.
â Tâinscrire aux universelles data.
â Est-ce une bonne idĂ©e, maĂźtresse ? Ne serai-je pas ralenti, surchargĂ© dâinfos superflues ?
â Tant pis. Au moins, grĂące Ă cette mise Ă jour radicale, si je dĂ©faillis, je serai secourue Ă temps, mĂȘme en cas de crise sociale grave.
Ă contrecĆur, elle sâattarda devant ses murs clairs presque blanchis par des rectangles fantĂŽmes. LassĂ©e, bravant les mises en garde robotiques, Gigliola repartit sâasseoir sur son banc jaune, au bord de la superbe Ă©tendue dâeau. Sans son appareil de photo, toutefois. Devant ce spectacle placide, parsemĂ© de bienveillance, elle se rĂ©pĂ©ta que, dĂ©cidĂ©ment, Stresa, bourgade lacustre, Ă©tait un petit Ăden prĂ©servĂ© des turbulences de la planĂšte. Elle sây sentait protĂ©gĂ©e, surtout que, dâici peu, son domestique nâallait plus rien rater des alĂ©as du monde.
Néanmoins, trois jours furent nécessaires pour le chargement complet des récepteurs UD, « Universal Data ».
Gigliola sâen voulut, pensant quâelle avait abusĂ© du ravissement visuel. Sortie de lâhĂŽpital, revenue Ă la maison, elle dut se rĂ©soudre, sur recommandation mĂ©dicale, Ă retirer ses photos du mur. Cette mesure drastique lui donnait la nausĂ©e, mais ne devait-elle pas mĂ©nager sa quĂȘte esthĂ©tique ? Selon le docteur, il lui fallait dĂ©sormais orienter ses yeux vers des choses simples, banales, voire un peu crispantes.
Elle redouta lâennui. En attendant, elle ne manqua pas dâassĂ©ner quelques remontrances Ă son androĂŻde en tablier blanc. Il lâĂ©couta, tĂȘte baissĂ©e, la casquette de pilote Ă la main.
â Comment, toi, PĂ©nato, as-tu pu ignorer que les taxis Ă©taient en grĂšve ce jour-lĂ ?
â Faute dâaccĂšs Ă tous les data, maĂźtresse. Je reçois seulement les donnĂ©es liĂ©es Ă mon service domestique quotidien, dans le cadre de vos pĂ©nates.
â Mmh. FĂącheux, çà . Tu as vu comme ma vie entre tes mains devenait risquĂ©e Ă la faveur du moindre Ă©vĂ©nement extraordinaire.
â Certes, certesâŠ
â Eh bien cela va changer, PĂ©nato !
â Bon bug ! Que comptez-vous faire ? demanda le robot sur un ton inquiet.
â Tâinscrire aux universelles data.
â Est-ce une bonne idĂ©e, maĂźtresse ? Ne serai-je pas ralenti, surchargĂ© dâinfos superflues ?
â Tant pis. Au moins, grĂące Ă cette mise Ă jour radicale, si je dĂ©faillis, je serai secourue Ă temps, mĂȘme en cas de crise sociale grave.
Ă contrecĆur, elle sâattarda devant ses murs clairs presque blanchis par des rectangles fantĂŽmes. LassĂ©e, bravant les mises en garde robotiques, Gigliola repartit sâasseoir sur son banc jaune, au bord de la superbe Ă©tendue dâeau. Sans son appareil de photo, toutefois. Devant ce spectacle placide, parsemĂ© de bienveillance, elle se rĂ©pĂ©ta que, dĂ©cidĂ©ment, Stresa, bourgade lacustre, Ă©tait un petit Ăden prĂ©servĂ© des turbulences de la planĂšte. Elle sây sentait protĂ©gĂ©e, surtout que, dâici peu, son domestique nâallait plus rien rater des alĂ©as du monde.
Néanmoins, trois jours furent nécessaires pour le chargement complet des récepteurs UD, « Universal Data ».
Une semaine plus tard, Gigliola contemplait les reflets du ciel sur le lac Majeur, en contraste avec les montagnes verdoyantes dâarriĂšre-plan. Elle voguait sur les vagues, sans en avoir lâair, grĂące aux voiles de son esprit. Un hĂ©ron blanc se posa non loin dâelle, sur les galets, mais aussitĂŽt il dĂ©colla dâurgence Ă lâarrivĂ©e de PĂ©nato.
â Vos gouttes pour les yeux, maĂźtresse.
â Quel dommage ! Tu as fait peur Ă cet oiseau magnifique. Qui sait, câĂ©tait peut-ĂȘtre lui, cette croix blanche dans le ciel, juste avant ma syncope. (Elle leva les yeux vers le robot.) Mâas-tu apportĂ© mon thermos de thĂ© ?
â Oups !
â Cela tâa encore Ă©chappĂ©, hein ? (Elle haussa les Ă©paules avant de scruter lâhorizon.) Regarde comme ce lac est exquisâŠ
â Ne faites pas ça, maĂźtresse. Mauvais pour votre santĂ©. Baissez les yeux.
â Regarde, te dis-je !
Docile, il balaya les flots de ses capteurs visuels.
â On dirait une vaste tĂŽle dâaluminium.
â Tu me donnes froid dans le dos, PĂ©nato.
â Tant mieux. Vous vous complaisez devant le belvĂ©dĂšre de ce petit monde, tandis que, sur les cinq continents, les drames du grabuge, de la bisbille gĂ©nĂ©rale nous chahutent.
â Tu veux me distraire au nom de mon hygiĂšne de vie, hein ?
LâandroĂŻde lui administra des gouttes sur les deux globes oculaires.
â Savez-vous, maĂźtresse, quâune usine indienne sort en ce moment un scooter toutes les 90 secondes ?
â Non. Et alors ?
â Et alors, ces scooters ne vont pas refroidir lâatmosphĂšre.
â En effet. Mais que puis-je y faire, moi, vieille habitante de Stresa ?
â Mais vous nâallez pas rester lĂ , sur votre banc jaune, alors que⊠(il se mit en mode flash instantanĂ©) un mauvais plaisant a persuadĂ© de nombreux citadins dâIzmir de lâimminence dâun sĂ©isme de magnitude huit. La ville turque est paralysĂ©e par les embouteillages⊠Une implantation cĂ©rĂ©brale rĂ©volutionnaire a rĂ©vĂ©lĂ© que le patient muet souffrait du syndrome de la Tourette : sa pensĂ©e verbale Ă©tait criblĂ©e de jurons et de mots grossiers... Un incident informatique a vidĂ© le ciel aĂ©rien belge⊠Guerre Ă©clair dans le Pacifique. Les armes nâont pas rĂ©sistĂ© Ă lâhumiditĂ© anormale⊠Une vache tourne autour de la Lune. Manifestations monstres en Inde⊠Distrait ou maladroit, un pirate provoque un krach boursier Ă Singapour⊠Une tornade fait voler une multitude dâarbres dans la forĂȘt canadienne⊠Le Parti des « ressemblent Ă rien » en passe de remporter la mairie de Plan-Les-OuatesâŠ
â ArrĂȘte, PĂ©nato, tu me fatigues.
â Quoi ? Comment ? Les nouvelles du monde vous fatiguent ?
â Oui, et je me demande si je ne vais pas annuler ton abonnement « Universel data ». Ce que tu mâĂ©numĂšres est soit pĂ©nible, soit inintĂ©ressant. En plus, cette masse de faits te pousse Ă oublier certains services.
â MaisâŠ
â Le monde dont je perçois la prĂ©sence depuis ce banc mâaccueille, tandis que le tien, virtuel, fatras en vrac, mâoppresse et me rejette. Je me sentirais presque coupable quâil nây ait pas le feu au lac.
â NavrĂ© que mon savoir boostĂ© produise un tel effet sur vous. Comment y remĂ©dier ?
Brusquement, un nouveau flux de donnĂ©es lâenvahit :
â Un feu dâartifice sĂšme la panique Ă JĂ©rusalem⊠à Lagos, des mathĂ©maticiennes ont Ă©tĂ© aspergĂ©es dâalcool de Ï par un drone intĂ©griste tchadien⊠Fin des majuscules en allemand⊠Le divorce entre XĂ©na et le patron de Lab.Y compromet le financement de la recherche sur les sclĂ©roses⊠Le moral de la population mondiale en chute libre. Lâesprit dâinitiative tend vers zĂ©ro. Lâaudace est rĂ©frĂ©nĂ©e. Chacun se renferme sur soi, ou, au mieux, sur sa familleâŠ
â Assez ! Assez ! PĂ©nato, va-tâen !
Soudain, un dĂ©clic dans un logiciel perturba le torrent des data. LâandroĂŻde perdit sa casquette, se figea dans la posture dâun malheureux qui se protĂšge dâun choc imminent. En fait, dans son for intĂ©rieur, ses algorithmes turbinaient Ă fond : si la prise de connaissance des rĂ©alitĂ©s planĂ©taires entraĂźnait lâisolement individuel, partager lâintĂ©grale de ses donnĂ©es avec sa maĂźtresse risquait de ramener celle-ci Ă la case dĂ©part, autrement dit, la contemplation perçante du lac Majeur, photos Ă lâappui, ce qui serait dĂ©plorable pour sa santĂ©. Selon le mĂ©decin de lâhĂŽpital, elle sâexposerait tĂŽt ou tard Ă une dĂ©gĂ©nĂ©rescence maculaire prĂ©coce. Et puis, calcula PĂ©nato, de toute façon, lâĂȘtre humain ne pouvait sâabaisser Ă devenir telle une coccinelle qui ignore lâexistence de la galaxie. Ensuite, lâandroĂŻde sâinterrogea : Et si elle lui dĂ©branchait ses rĂ©cepteurs UD, comment pourrait-il la protĂ©ger du monde ?
Enfin, il se murmura :
â Quâest-ce qui me dit que lâĂ©croulement dâun pont au Pakistan nâentraĂźnerait pas un « effet papillon » sur ma maĂźtresse ?
â AllĂŽ, PĂ©nato ?
â Vos gouttes pour les yeux, maĂźtresse.
â Quel dommage ! Tu as fait peur Ă cet oiseau magnifique. Qui sait, câĂ©tait peut-ĂȘtre lui, cette croix blanche dans le ciel, juste avant ma syncope. (Elle leva les yeux vers le robot.) Mâas-tu apportĂ© mon thermos de thĂ© ?
â Oups !
â Cela tâa encore Ă©chappĂ©, hein ? (Elle haussa les Ă©paules avant de scruter lâhorizon.) Regarde comme ce lac est exquisâŠ
â Ne faites pas ça, maĂźtresse. Mauvais pour votre santĂ©. Baissez les yeux.
â Regarde, te dis-je !
Docile, il balaya les flots de ses capteurs visuels.
â On dirait une vaste tĂŽle dâaluminium.
â Tu me donnes froid dans le dos, PĂ©nato.
â Tant mieux. Vous vous complaisez devant le belvĂ©dĂšre de ce petit monde, tandis que, sur les cinq continents, les drames du grabuge, de la bisbille gĂ©nĂ©rale nous chahutent.
â Tu veux me distraire au nom de mon hygiĂšne de vie, hein ?
LâandroĂŻde lui administra des gouttes sur les deux globes oculaires.
â Savez-vous, maĂźtresse, quâune usine indienne sort en ce moment un scooter toutes les 90 secondes ?
â Non. Et alors ?
â Et alors, ces scooters ne vont pas refroidir lâatmosphĂšre.
â En effet. Mais que puis-je y faire, moi, vieille habitante de Stresa ?
â Mais vous nâallez pas rester lĂ , sur votre banc jaune, alors que⊠(il se mit en mode flash instantanĂ©) un mauvais plaisant a persuadĂ© de nombreux citadins dâIzmir de lâimminence dâun sĂ©isme de magnitude huit. La ville turque est paralysĂ©e par les embouteillages⊠Une implantation cĂ©rĂ©brale rĂ©volutionnaire a rĂ©vĂ©lĂ© que le patient muet souffrait du syndrome de la Tourette : sa pensĂ©e verbale Ă©tait criblĂ©e de jurons et de mots grossiers... Un incident informatique a vidĂ© le ciel aĂ©rien belge⊠Guerre Ă©clair dans le Pacifique. Les armes nâont pas rĂ©sistĂ© Ă lâhumiditĂ© anormale⊠Une vache tourne autour de la Lune. Manifestations monstres en Inde⊠Distrait ou maladroit, un pirate provoque un krach boursier Ă Singapour⊠Une tornade fait voler une multitude dâarbres dans la forĂȘt canadienne⊠Le Parti des « ressemblent Ă rien » en passe de remporter la mairie de Plan-Les-OuatesâŠ
â ArrĂȘte, PĂ©nato, tu me fatigues.
â Quoi ? Comment ? Les nouvelles du monde vous fatiguent ?
â Oui, et je me demande si je ne vais pas annuler ton abonnement « Universel data ». Ce que tu mâĂ©numĂšres est soit pĂ©nible, soit inintĂ©ressant. En plus, cette masse de faits te pousse Ă oublier certains services.
â MaisâŠ
â Le monde dont je perçois la prĂ©sence depuis ce banc mâaccueille, tandis que le tien, virtuel, fatras en vrac, mâoppresse et me rejette. Je me sentirais presque coupable quâil nây ait pas le feu au lac.
â NavrĂ© que mon savoir boostĂ© produise un tel effet sur vous. Comment y remĂ©dier ?
Brusquement, un nouveau flux de donnĂ©es lâenvahit :
â Un feu dâartifice sĂšme la panique Ă JĂ©rusalem⊠à Lagos, des mathĂ©maticiennes ont Ă©tĂ© aspergĂ©es dâalcool de Ï par un drone intĂ©griste tchadien⊠Fin des majuscules en allemand⊠Le divorce entre XĂ©na et le patron de Lab.Y compromet le financement de la recherche sur les sclĂ©roses⊠Le moral de la population mondiale en chute libre. Lâesprit dâinitiative tend vers zĂ©ro. Lâaudace est rĂ©frĂ©nĂ©e. Chacun se renferme sur soi, ou, au mieux, sur sa familleâŠ
â Assez ! Assez ! PĂ©nato, va-tâen !
Soudain, un dĂ©clic dans un logiciel perturba le torrent des data. LâandroĂŻde perdit sa casquette, se figea dans la posture dâun malheureux qui se protĂšge dâun choc imminent. En fait, dans son for intĂ©rieur, ses algorithmes turbinaient Ă fond : si la prise de connaissance des rĂ©alitĂ©s planĂ©taires entraĂźnait lâisolement individuel, partager lâintĂ©grale de ses donnĂ©es avec sa maĂźtresse risquait de ramener celle-ci Ă la case dĂ©part, autrement dit, la contemplation perçante du lac Majeur, photos Ă lâappui, ce qui serait dĂ©plorable pour sa santĂ©. Selon le mĂ©decin de lâhĂŽpital, elle sâexposerait tĂŽt ou tard Ă une dĂ©gĂ©nĂ©rescence maculaire prĂ©coce. Et puis, calcula PĂ©nato, de toute façon, lâĂȘtre humain ne pouvait sâabaisser Ă devenir telle une coccinelle qui ignore lâexistence de la galaxie. Ensuite, lâandroĂŻde sâinterrogea : Et si elle lui dĂ©branchait ses rĂ©cepteurs UD, comment pourrait-il la protĂ©ger du monde ?
Enfin, il se murmura :
â Quâest-ce qui me dit que lâĂ©croulement dâun pont au Pakistan nâentraĂźnerait pas un « effet papillon » sur ma maĂźtresse ?
â AllĂŽ, PĂ©nato ?
â Et mes goutes pour les yeux ?
â Vous nâen avez plus besoin, maĂźtresse.
Câest que lâandroĂŻde avait trouvĂ© le remĂšde Ă ses principaux problĂšmes : un, toujours ĂȘtre au courant des soubresauts inopinĂ©s de derniĂšre minute, deux, Ă©viter que madame ne contemple le lac et les alentours dâun Ćil trop incisif, et trois, prĂ©server la pauvre du harcĂšlement des data dĂ©primantes dĂ©bitĂ©es par la planĂšte.
Cela nâavait pas Ă©tĂ© facile. Le robot sâĂ©tait dĂ©menĂ© dans ses Ă©quations. Et puis, il fallait lâavouer, le hasard avait donnĂ© son coup de pouce. La solution idĂ©ale obtenue par ses tĂątonnements digitaux consistait Ă transfĂ©rer ses rĂ©cepteurs Universal Data sur la puce centrale de son confrĂšre pompier. En effet, PĂ©nato sâĂ©tait accordĂ© avec son pote artificiel : en cas dâĂ©vĂ©nement soudain, imprĂ©vu, susceptible dâaffecter lâexistence de sa maĂźtresse, le serviteur en serait immĂ©diatement alertĂ©.
Ainsi, le domestique avait retrouvĂ© un rythme de fonctionnement numĂ©rique fluide, sans pour autant mettre en danger sa propriĂ©taire. En outre, il nâaccaparerait plus celle-ci avec ses flashes info cafardeux.
Restait le souci du regard vorace de madame. Le coup de chance intervint juste avant la fin du tĂ©lĂ©chargement sur le pompier. De justesse, PĂ©nato apprit que la niĂšce de madame devait partir prĂ©cipitamment pour un stage de formation Ă lâĂ©tranger. Le hic, câĂ©tait quâelle ne pouvait emmener son bĂ©bĂ© avec elle et quâelle ne pouvait compter sur son ex pour sâoccuper du nourrisson. Ses parents commençaient une croisiĂšre cap sur lâAntarctique.
â Vous nâen avez plus besoin, maĂźtresse.
Câest que lâandroĂŻde avait trouvĂ© le remĂšde Ă ses principaux problĂšmes : un, toujours ĂȘtre au courant des soubresauts inopinĂ©s de derniĂšre minute, deux, Ă©viter que madame ne contemple le lac et les alentours dâun Ćil trop incisif, et trois, prĂ©server la pauvre du harcĂšlement des data dĂ©primantes dĂ©bitĂ©es par la planĂšte.
Cela nâavait pas Ă©tĂ© facile. Le robot sâĂ©tait dĂ©menĂ© dans ses Ă©quations. Et puis, il fallait lâavouer, le hasard avait donnĂ© son coup de pouce. La solution idĂ©ale obtenue par ses tĂątonnements digitaux consistait Ă transfĂ©rer ses rĂ©cepteurs Universal Data sur la puce centrale de son confrĂšre pompier. En effet, PĂ©nato sâĂ©tait accordĂ© avec son pote artificiel : en cas dâĂ©vĂ©nement soudain, imprĂ©vu, susceptible dâaffecter lâexistence de sa maĂźtresse, le serviteur en serait immĂ©diatement alertĂ©.
Ainsi, le domestique avait retrouvĂ© un rythme de fonctionnement numĂ©rique fluide, sans pour autant mettre en danger sa propriĂ©taire. En outre, il nâaccaparerait plus celle-ci avec ses flashes info cafardeux.
Restait le souci du regard vorace de madame. Le coup de chance intervint juste avant la fin du tĂ©lĂ©chargement sur le pompier. De justesse, PĂ©nato apprit que la niĂšce de madame devait partir prĂ©cipitamment pour un stage de formation Ă lâĂ©tranger. Le hic, câĂ©tait quâelle ne pouvait emmener son bĂ©bĂ© avec elle et quâelle ne pouvait compter sur son ex pour sâoccuper du nourrisson. Ses parents commençaient une croisiĂšre cap sur lâAntarctique.
Gigliola promenait le long du lac une bambina dans un landau doux comme le ciel bleu du Luxembourg.
â Regarde-toi, Stella, Dieu que tu es craquante ! lâadmira-t-elle.
CâĂ©tait peu dire quâelle Ă©tait obnubilĂ©e ! ObnubilĂ©e par ce nouveau-nĂ©, source dâun nouvel avenir, minuscule ĂȘtre lunaire rosĂ©. ObnubilĂ©e par cette personne potentielle, sans dĂ©fense, totalement vulnĂ©rable.
Le lac Majeur, elle le devinait Ă peine. MĂȘme le cancan des canards, mĂȘme le rire des mouettes Ă©taient Ă©crasĂ©s sous les secrets quâhurlait le petit corps emmaillotĂ©. Alors quâil la suivait de loin, PĂ©nato semblait aux anges. Provisoirement⊠Mais le « carpe diem » figurait aussi dans le programme de lâandroĂŻde.
â Regarde-toi, Stella, Dieu que tu es craquante ! lâadmira-t-elle.
CâĂ©tait peu dire quâelle Ă©tait obnubilĂ©e ! ObnubilĂ©e par ce nouveau-nĂ©, source dâun nouvel avenir, minuscule ĂȘtre lunaire rosĂ©. ObnubilĂ©e par cette personne potentielle, sans dĂ©fense, totalement vulnĂ©rable.
Le lac Majeur, elle le devinait Ă peine. MĂȘme le cancan des canards, mĂȘme le rire des mouettes Ă©taient Ă©crasĂ©s sous les secrets quâhurlait le petit corps emmaillotĂ©. Alors quâil la suivait de loin, PĂ©nato semblait aux anges. Provisoirement⊠Mais le « carpe diem » figurait aussi dans le programme de lâandroĂŻde.
Source
Texte @ Robert Yessouroun, tous droits réservés


