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Le sacre du printemps | Robert Yessouroun | 2022

07/01/2023
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Copyright @ 2022 Le Galion des Etoiles | Le sacre du printemps, une fable du futur de Robert Yessouroun
Copyright @ 2022 Le Galion des Etoiles | Le sacre du printemps, une fable du futur de Robert Yessouroun
À Martine, qui m’a donnĂ© le thĂšme
 
Sa mini-station mĂ©tĂ©o prĂ©voyait un ciel clair et jusqu’à 25 degrĂ©s en mi-journĂ©e. Bon robot gĂ©ologue dit « fouineur Â», GĂ©o5 n’avait pas Ă©tĂ© conçu pour comprendre le printemps, si bien que les phĂ©nomĂšnes insolites qui se multipliaient autour de lui ralentissaient sa prospection systĂ©matique des nappes phrĂ©atiques. Aussi roulait-il au pas sur le sol champĂȘtre, selon l’itinĂ©raire exploratoire. Rover sur six roues articulĂ©es, il ressemblait Ă  Curiosity, l’un des automates pionniers sur la planĂšte Mars.

En ce dĂ©but de matinĂ©e, transgressant son programme, son bras hyper mobile muni de senseurs examinait par spectromĂ©trie le tandem de charançons collĂ©s l’un contre l’autre. Du jamais vu, pour GĂ©o5 ! En mĂȘme temps, au sommet de son mĂąt, la camĂ©ra 312K zoomait sur une abeille qui plongeait dans le calice d’une campanule (ça alors, quelle manie !), puis l’objectif esquissa un panoramique sur un cerisier sauvage. Ses feuillages rosissaient, envahis par des boutons Ă  pĂ©tales. En dehors du protocole rĂ©glementaire, il ne manqua pas d’enregistrer le long cri hirsute d’un liĂšvre posĂ© sur le dos d’un autre, tandis que, dans les hautes herbes, des grillons stridulaient. Que se passait-il donc dans ce coin de campagne ? Ces sons (du reste aussi bizarres que les rĂ©centes images) alourdissaient le travail de GĂ©o5. Et une contrariĂ©tĂ© chassait l’autre : son champ de vision captait un duo de renards qui observait une paire d’oies en fuite vers les fourrĂ©s. Pourquoi le chiffre deux dominait-il ce qui s’animait ?

En retard sur l’horaire, son dĂ©tecteur d’eau souterraine lança un nouveau sondage. Le forage fut compliquĂ©. DestinĂ©e Ă  son labo portatif et au dĂ©tecteur de particules Ă©nergĂ©tiques, la carotte rĂ©sistait plus que d’habitude. SimultanĂ©ment les propriocepteurs de GĂ©o5 signalaient dans son for intĂ©rieur des carences inconnues. Les donnĂ©es qu’il engrangeait semblaient dĂ©nuĂ©es de sens. Ses calculs tournaient dans un cercle vicieux, comme un refrain discordant sans fin. Autour de lui, ce nouveau monde animal ou vĂ©gĂ©tal lui Ă©chappait. Des lacunes en sĂ©ries avalaient au fur et Ă  mesure ses analyses de plus en plus Ă©perdues.

NĂ©anmoins, selon l’ordre de la sĂ©quence gĂ©ologique, le Rover descendit tant bien que mal vers la riviĂšre pour y rincer le cylindre minĂ©ral obtenu non sans peine. Durant l’opĂ©ration, sa camĂ©ra remarqua qu’une myriade de tĂȘtards grouillait dans le courant. D’oĂč provenaient-ils si nombreux ?

Les rĂ©sultats de son prĂ©lĂšvement rĂ©vĂ©lĂšrent d’autres anomalies. Les couches d’ardoise dataient du Silurien, ce qui contredisait les prĂ©dictions, lesquelles tablaient sur un terrain de molasse rĂ©cent (d’une quinzaine de millions d’annĂ©es). GĂ©o5 n’était pas au bout de ses surprises. GrĂące au grossissement de ses lentilles idoines apparurent sur les schistes gris des lettres poilues identifiĂ©es aussitĂŽt comme des graptolites, des reliques d’organismes Ă©radiquĂ©s de la surface terrestre. Puis le laser localisa au milieu de l’échantillon un plus grand fossile, un trilobite. Incroyable ! Trilobite, graptolite, ces ĂȘtres autrefois vivants, Ă©clipsĂ©s dĂšs la fin de l’ùre primaire, lui rappelaient la disparition subite cette semaine des ĂȘtres humains.

Soudain, surgis de nulle part, deux bonobos bondirent sur le module cubique Ă  l’arriĂšre pour s’agripper Ă  son mĂąt. L’un d’eux lĂ©cha la camĂ©ra qui s’orientait spontanĂ©ment vers une silhouette bipĂšde en approche.

‑ Coucou ! Je suis Lucy, se prĂ©senta la gynoĂŻde blanche comme un albinos. Bravo, mon vieux, tu plais fort Ă  Bimbo et Bamba, les deux chimpanzĂ©s nains que j’ai libĂ©rĂ©s d’un laboratoire de psychologie. Les chercheurs testaient l’intelligence de ces bĂȘtes, mais les savants sont partis sans dire au revoir, comme tous leurs semblables.

Par Ă©conomie, GĂ©o5 n’avait pas Ă©tĂ© dotĂ© d’une voix. Son mutisme congĂ©nital ne l’empĂȘchait pas d’adresser des textos, sitĂŽt qu’un interlocuteur nouait contact avec lui.

« Hello, Lucy. Suis GĂ©o5, gĂ©ologue itinĂ©rant. Â»

‑ Ah ? En quĂȘte de quelle pĂ©pite ?

« De l’eau souterraine. Et toi, Lucy, quel projet te motorise ? Â»

‑ Je rĂ©cupĂšre moutons, vaches, chĂšvres, poules et cochons en vadrouille, livrĂ©s Ă  eux-mĂȘmes. Â»

« Comment te recharges-tu sans les humains ? Â»

‑ Au contact des animaux. Et toi ?

« Facile : en roulant sous la lumiĂšre. Â»

AprĂšs avoir tripotĂ© l’antenne du rĂ©cepteur radio, les bonobos rivalisĂšrent pour escalader le miroir solaire parabolique. Depuis le bosquet voisin se propageait une sorte d’alarme : un cerf bramait.

« Lucy, tu dois mieux comprendre que moi ce qui arrive, non ? Â»

‑ Qu’est-ce qui arrive ?

« Le printemps. Â»

Une gamme de sifflement Ă©mise depuis le feuillage vert tendre d’un chĂȘne frappa le rĂ©cepteur sonore de GĂ©o5. Son dĂ©cortiqueur acoustique piĂ©tina.

« C’est quoi ce bruit, Lucy ? Â»

‑ Ben, un oiseau qui appelle.

Un vent tiĂšde et lĂ©ger se leva furtivement. Sous les rayons matinaux du soleil s’allumait un essaim pĂ©tillant de pollen.

« C’est quoi, cette pollution ? Â»

‑ Ben, de la semence vĂ©gĂ©tale. (Lucy s’assit en tailleur devant le Rover.) Au printemps, vois-tu, la vie Ă©volue vers une phase roborative. Elle se propage, prolifĂšre, pour conquĂ©rir la matiĂšre inerte. Ne sens-tu pas cette odeur de lilas, cette invitation florale Ă  la copie ?

« Analyse en cours. Â»

Malheureusement, GĂ©o5 ne pouvait tirer au clair le phĂ©nomĂšne olfactif, privĂ© qu’il Ă©tait de puces ad hoc. Face au manque de rĂ©fĂ©rences, il amorça en lui un scan intĂ©gral afin de diagnostiquer un bogue.

‑ DĂ©marche inutile, mon vieux ! Bien que fabriquĂ© rĂ©cemment, tu es un ancien modĂšle. Tu n’as pas Ă©tĂ© conçu pour aimer le mois de mai.

LassĂ©s de chercher les poux l’un chez l’autre, Bimbo et Bamba s’embrassĂšrent. L’image de la camĂ©ra 312K pixellisa, puis s’éteignit carrĂ©ment, dans l’attente d’une nouvelle alimentation.

« Les humains auraient-ils pu corriger mes insuffisances ? Â»

‑ Possible. Mais, hĂ©las, ils ont disparu. Le plus simple, GĂ©o5, c’est que nous poursuivions chacun notre travail. Toi, tu cherches de l’eau, moi, je ramĂšne les animaux Ă  la ferme.

« Pourquoi ramener les animaux Ă  la ferme ? Â»

‑ Pour mieux les nourrir. Pour mieux les protĂ©ger.

« Les protĂ©ger ? Â»

‑ Oui. Les prĂ©dateurs sont Ă  prĂ©sent tous sortis de leur hibernation.

La terre vibra discrĂštement. Ce n’était pas un sĂ©isme. Une trappe parmi d’autres se souleva sous la mousse et les trĂšfles. Le visage d’une femme rousse Ă©mergea du sol.

‑ AllĂŽ, Charlie ? Ici la coordinatrice gĂ©nĂ©rale. Fais passer le message : nous pouvons tous enfin profiter des douceurs de la bonne saison ! L’expĂ©rience a rĂ©ussi. MalgrĂ© notre absence, nos robots se sont dĂ©vouĂ©s pour prĂ©server la biosphĂšre en ce printemps. Sans exception, les humains peuvent quitter leur abri anti-robotique. L’exercice Ă  grande Ă©chelle est terminĂ©. Qu’elle soit primitive ou Ă©laborĂ©e, l’intelligence artificielle abandonnĂ©e Ă  elle-mĂȘme vient de prouver qu’elle servait sans condition l’existence naturelle. Elle relaie ainsi l’instinct de vie sur notre planĂšte.

La rouquine coupa la communication pour se hisser hors du souterrain. Et elle se rĂ©jouit :

‑ Hummm, ce parfum de muguet !

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Texte @ Robert Yessouroun, tous droits réservés

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💬Commentaires

1.Posté par Koyolite TSEILA le 07/01/2023 08:31 | Alerter
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KoyoliteTseila
J'ai un souhait dont je ne me cache pas : j'aimerais pouvoir me remplir la panse en automne, puis m'endormir au chaud, le ventre bien rond, pour me rĂ©veiller au printemps svelte et en forme, sans avoir eu Ă  souffrir de la rudesse de l'hiver. Mais sans de l'aide pour accomplir certaines tĂąches dont je devrais thĂ©oriquement m'occuper au lieu de roupiller, c'est compliquĂ© ! 😉 NĂ©anmoins, Robert Yessouroun a peut-ĂȘtre la solution Ă  ce problĂšme... Merci pour ce chouette texte. Le printemps, c'est sacrĂ©, vivement qu'il arrive !

2.Posté par Jean Christophe GAPDY le 22/03/2023 09:10 | Alerter
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JCGapdy
Eh bien, voici un petit texte qui prĂȘte bien Ă  sourire, tant dans son histoire que dans sa chute. Merci de ce petit air printanier et humez-moi donc ce futur parfum de muguet. ❀ 💐

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