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AllĂ´ ? Ici ma Terre | Robert Yessouroun | 2022

13/03/2022
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Copyright @ 2022 Le Galion des Etoiles | AllĂ´ ? Ici ma Terre, fable du futur de Robert Yessouroun
Copyright @ 2022 Le Galion des Etoiles | AllĂ´ ? Ici ma Terre, fable du futur de Robert Yessouroun
Dom culminait avec fiertĂ© aux sommets de l’expertise. Personne n’arrivait Ă  sa cheville dans sa spĂ©cialitĂ© rarissime : la psycho-sociologie pluriverselle de l’exo-super-intelligence. Son rĂŞve : communier avec une conscience, que dis-je, avec un gĂ©nie venu au monde sur un autre monde ! Ainsi, l’éminent savant gardait avec vigilance le domaine de la science qui, l’espĂ©rait-il, lui donnera tĂ´t ou tard l’accès Ă  une civilisation, voire mieux, Ă  une Ă©lite extraterrestre.

Qui se ressemble s’assemble : son Ă©pouse, Claude, se rĂ©vĂ©lait, elle, experte en genre fĂ©minin. Elle investissait ses ferveurs (elle n’en manquait guère) dans le culte de VĂ©nus, comme si son destin lui dictait de vĂ©nĂ©rer les idoles qui dĂ©ifiaient les femmes.

De son cĂ´tĂ©, en attendant le Graal de l’Au-delĂ  cosmique, Dom communiquait via le Net sur l’avancĂ©e de ses prospectives. Malheureusement, malgrĂ© le tri sĂ©vère de ses suiveurs, son site Ă©tait polluĂ©. PolluĂ© par des ignares qui encrassaient de leurs commentaires ses articles les plus pointus. Leurs inepties feraient rougir de honte le plus simplet des imbĂ©ciles ! Ainsi, l’un de ces demeurĂ©s (une mĂ©daille d’or, celui-lĂ  !) n’avait-il pas critiquĂ© son dernier protocole en vue des premiers contacts ? Quel culot ! Oser affirmer qu’une sociĂ©tĂ© hyper-intelligente ne dĂ©velopperait pas forcĂ©ment de la technologie pour explorer l’univers ! OĂą allait-on ?

Sa passion vouée aux théories sur le premier contact était assortie à son enthousiasme pour les essences chlorophylliennes. Dom adulait sa petite propriété de Naxxar, sur l’île de Malte. La région bénéficiait d’un climat que lui enviaient les confrères étrangers gagnés eux aussi par la marotte de l’horticulture. Plutôt hypertrophié, l’instinct de territoire du docte chercheur le poussait à s’enorgueillir de son jardin papal, tant fêté par les oiseaux. Au sein de ces fleurs féeriques, de ces buissons sorciers, de ces arbres magiques, il se sentait tel un patrouilleur patriote, prêt à mourir pour son drapeau.

Ainsi, parmi sa verdure, sous le parasol de son blanc bureau rond, le scientifique progressait tambour battant dans ses hypothèses qui se moquaient du ridicule. Autour de lui, cette nature taboue, ce paradis sacrĂ© nourrissait, avec ses travaux acadĂ©miques, ses cycles de colère. Que d’intrus, sans les moindres Ă©gards ! Que d’incompĂ©tents ! La veille, n’avait-il pas renvoyĂ© son sixième jardinier qui dĂ©pareillait sa flore des antipodes ? Et l’autre jour, son fils en personne n’avait-il pas squattĂ© une parcelle du potager avec des graines de cucurbitacĂ©es hallucinogènes ? Or, l’ado savait pertinemment que ce carrĂ© en friche Ă©tait rĂ©servĂ© aux semences d’espèces en voie de disparition, semences qui, dans le congĂ©lateur, attendaient la lumière du jour…

Cela faisait longtemps que sa femme délaissait ce merveilleux oasis exotique, moins par crainte d’éventuelles remontrances que par la plus irrépressible des jalousies.

La plupart du temps donc, son mari cherchait loin des autres.

Dernièrement, sa quĂŞte solitaire du premier contact s’était compliquĂ©e Ă  cause de la bureaucratie de l’enseignement supĂ©rieur. Au grand dam du Recteur et de son cĂ©nacle, les Ă©tudes de Dom, toutes innovantes fussent-elles, ne dĂ©bouchaient sur rien de concret. Le Conseil de la section des Sciences des signaux lui octroya donc un « booster Â». Plus prĂ©cisĂ©ment, l’universitĂ© maltaise lui avait affectĂ© un assistant artificiel qui tenait Ă  la fois du drone et du smartphone.

Quel pot de colle, celui-lĂ  !

‑ Sambot, professeur, pour vous aider, se prĂ©senta-t-il en le survolant.

‑ Pas besoin d’aide, Sambot.

‑ Que si ! Dans votre dernier article, ce que vous avancez est invĂ©rifiable.

‑ Et alors ? Laisse tranquille mon chantier sur l’inconnu. C’est mon domaine ! Mon domaine de pionnier !

‑ Peut-ĂŞtre. Sauf que vos algorithmes 3, 4 et 7ter sont invalides.

‑ Quoi ? Mes algo sont parfaits, adaptĂ©s par mes soins aux caractĂ©ristiques de l’exo-super-intelligence.

‑ Lesquelles sont floues. En tant que votre assistant, je me dois de les…

‑ Ho ! Stop, petit ! Touche pas Ă  la peau de mon Ĺ“uvre. Occupe-toi plutĂ´t de la cuisine.

‑ Mais, pourtant, professeur…

‑ Nan, tu n’y connais que dalle Ă  mon chez moi. Je suis expert, Sambot, tu m’entends ? Toi, tu n’es qu’un tas de puces… Et atterris, bon sang, tu me donnes le tournis !

Depuis ce premier entretien, son adjoint s’obstinait à plomber ses investigations.

Ce vendredi-là, à l’ombre de son palmier gracile (Euterpe Olearacea), le grand écran (allumé en permanence) diffusait des images de fond, un documentaire sur le nazisme. Le Führer y vociférait que le Troisième Reich durerait mille ans. Une ombre voila le noir et blanc. Un solide gaillard, genre baroudeur, osait fouler la pelouse de Dom.

‑ Sambot, dĂ©gage-moi çà !

L’assistant plana juste au-dessus du nouveau venu.

‑ D’après mes donnĂ©es, professeur, votre hĂ´te est un agent spĂ©cial des services secrets maltais.

‑ M’en beurre le coquillard ! Ouste ! Il ferait mieux de surveiller ces idiots que je ne cesse de rembarrer pour leurs avis dĂ©biles.

Pincé, l’agent se courba quand même, d’un salut courtois.

‑ Excusez-moi, professeur, nous avons un contact.

Dom se figea, ébahi comme un paon devant un miroir. Sambot fit asseoir le messager pour préserver le gazon du maître.

‑ Un contact en provenance du cĹ“ur d’Andromède, poursuivit le fonctionnaire.

Appuyé contre son palmier d’Amazonie, l’expert pâlit pire qu’un albinos.

‑ Un… un contact… sous quelle forme ?... Vieux de combien de millions d’annĂ©es ?

‑ Contact actuel, instantanĂ©. Par tĂ©lĂ©portation quantique. Ă€ vous de traduire cette minute de bruits… peu engageants.

Le scientifique tout excité entraîna l’agent vers son bureau de jardin. Là, il sortit d’un tiroir le transformateur expérimental mis au point par une consœur russe. Il le chargea des données, à savoir la minute de bruits peu engageants. Dans l’attente du résultat, en pleine euphorie, il offrit à son visiteur un Lagavulin de 20 ans d’âge. Une magnanimité soudaine, insoupçonnée semblait l’animer.

Au bout d’un long quart d’heure, l’appareil russe n’émit que des cliquetis bizarres.

‑ Sabotage ! s’indigna Dom.

‑ Que non, professeur. Vous l’avez programmĂ© avec l’algorithme 4, dĂ©plora Sambot qui rayonnait au-dessus du traducteur pour en rĂ©tablir le juste fonctionnement.

‑ Inutile, petit. J’envoie par e-mail le contact au plus grand dĂ©chiffreur des cinq continents, Ă  l’universitĂ© de Cambridge.

Le savant se ressaisit. Une intuition lui suggĂ©rait l’imminence de la « rĂ©colte du siècle Â». Il congĂ©dia l’agent, finit le whisky de son hĂ´te, rassembla sa femme et son fils (un brin rĂ©calcitrant, lui). Jovial, il annonça devant sa famille :

‑ Ce soir, m’sieur dame, je vous invite pour un grand festin, Ă  La licorne d’or !

Son épouse et son garçon écarquillèrent les yeux. D’habitude, le seigneur du jardin évitait la promiscuité des restaurants. Trop heureux, il étreignit les siens l’un après l’autre. En hauteur, Sambot restait branché sur l’écran de contrôle, à l’affût d’un retour. Mais le ponte anglais ne daignait pas répondre.

‑ Quel manque de respect !

Dom tournait en rond, observĂ© par les siens, fort dĂ©solĂ©s. Le fameux repas semblait mal parti. AgacĂ©, le professeur apostropha son aide :

‑ Qu’est-ce que tu me fiches encore ?

Posé sur le bureau, Sambot trifouillait de ses pédoncules rétractiles un décodeur vintage de messages secrets, ramené du département d’archéologie de la capitale. Bientôt, l’antique engin cracha une bandelette qui ressemblait à celle des télégraphes des temps modernes.

‑ Votre message, professeur.

Le scientifique peinait à respirer. Ses doigts tremblaient en parcourant les mots qui se succédaient.

‑ Vos ET ne sont pas contents, hein ? supposa l’assistant artificiel.

‑ C’est… incroyable… Je… Tu es sĂ»r de cette traduction ? Ce n’est pas un canular ?

‑ SĂ»r Ă  99,8 %, professeur.

Le fils et l’épouse s’échangeaient des regards aussi perplexes que ceux entre une paire de cheveux dans la soupe.

‑ Mon Dieu, que dit le message ? s’effrayait la femme de l’expert.

Ce dernier lui caressa doucement la joue, avant de se dĂ©cider finalement Ă  lire Ă  haute voix :

‑ Â« Faut que cela cesse, Terriens ! La conquĂŞte de l’espace par votre planète menace la nĂ´tre. Vos gouvernements nationalistes rivalisent pour s’approprier la route du cosmos, prĂŞts Ă  bouter sans scrupule les Ă©trangers hors de leur chemin. CrĂ©atures de la Terre, ne connaissez-vous donc pas la pulsion de gĂ©nĂ©rositĂ© ? Â»

‑ Gouvernements nationalistes… Peuples victimes du cerveau reptilien de leurs dirigeants… commenta Sambot d’une pirouette dans les airs.

MalgrĂ© tout conscient de l’heure historique, Dom donna l’ordre Ă  son assistant :

‑ DĂ©brouille-toi pour que la rĂ©ponse leur parvienne illico.

‑ Mais, professeur…

‑ Il n’y a pas de mais.

‑ OK, OK. Quelle rĂ©ponse ?

‑ Ben… heu…

Une grappe de dattes tomba du palmier dans l’herbe. Sambot faillit perdre de l’altitude. Il ne pouvait ni rire, ni soupirer. Il se borna d’une formule :

‑ AĂŻe, aĂŻe, aĂŻe…

Dom improvisa pour la première fois de sa vie :

‑ Heu… AllĂ´ ? Ici ma Terre… Expert en premier contact, j’invite votre ambassadeur et sa dĂ©lĂ©gation dans mon modeste jardin…

Cinq heures plus tard, Dom n’avait plus de jardin, plus de Lagavulin. Sa femme Ă©tait partie avec son fils. Juste Ă  sa droite, une tirelire en cochon grandeur nature. Un traducteur rĂ©pĂ©tait :

‑ Encore un don pour les pauvres de notre planète…

Les ET semblaient navrés. Ce Dom (probablement le diminutif de dominant) ne comprenait pas ce qui lui arrivait.

‑ Quel dommage ! regretta l’un d’eux. Nous avons contactĂ© la Terre pour nous plaindre du danger que font courir ses dirigeants nationalistes en explorant l'espace. Comment ne pas reprocher Ă  ces obsĂ©dĂ©s de leur territoire leur manque de gĂ©nĂ©rositĂ©, donc leur incapacitĂ© Ă  donner Ă  l'autre ? D'oĂą la leçon donnĂ©e au Terrien Dom. Cet expert jaloux du territoire de son savoir s'Ă©tait enfermĂ© dans la propriĂ©tĂ© de son jardin. En le privant de son bien, de sa famille, en l’incitant Ă  donner pour nos dĂ©munis, nous avons cru lui Ă©veiller la conscience. Peine perdue ?

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Texte @ Robert Yessouroun, tous droits réservés

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đź’¬Commentaires

1.Posté par Koyolite TSEILA le 13/03/2022 06:25 | Alerter
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KoyoliteTseila
Dans ce récit, nous découvrons Dom, un savant qui garde précieusement pour lui ses connaissances dans le domaine de la science, dans l’objectif de communiquer avec un génie extraterrestre de son niveau. Néanmoins, apprenez que ceux et celles qui ne savent pas donner aux autres, ni se montrer généreux, risquent bien un jour de se prendre un retour de manivelle – bien mérité – dans les dents… « Allô ? Ici ma Terre » est une leçon dans l’air du temps. Merci Robert !

2.Posté par Southeast JONES le 21/10/2022 15:57 | Alerter
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southeast
Court, mais drĂ´le, quoi que... Merci Robert.

3.Posté par B BLANZAT le 24/10/2022 13:06 | Alerter
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Blanzat
Bravo Robert pour ce court texte, qu'on pourrait épingler en intro d'Isolation, de Greg EGAN, ce qui expliquerait bien des choses...

4.Posté par Siebella CHTH le 09/03/2024 16:22 | Alerter
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Sieb
Ce récit relate avec justesse, et humour, que même dans le futur, les problèmes d'incompréhension risquent fort d'être toujours d'actualité. En effet, comment pourrions-nous nous faire comprendre d'ET, si nous-mêmes, Terriens, ne le parvenons nous pas entre nous ?

Que ce soit dans le langage, l'attitude, les modes de pensée et d'interprétation, il faudrait certainement que nous fassions de très gros efforts, pour parvenir à une rencontre du 3ème type qui ne finisse pas en guerre..

Merci à l'auteur pour cette agréable lecture.

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