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2199 : Puces caméléons | Siebella ChTh | 2024


Une fiche ajoutée dans nos cales par | 19/05/2024 | Lu 832 fois




Bonjour les Galionautes, la bienvenue dans ce proche futur ! Je vous souhaite une agréable lecture.
Siebella



Carte d'identité futuriste | Montage et réalisation @ Siebella ChTh (sur la base d'un fond de www.canva.com)
Carte d'identité futuriste | Montage et réalisation @ Siebella ChTh (sur la base d'un fond de www.canva.com)

2199 : Puces caméléons

Élégant dans son uniforme d'officier de la Royal Navy, Marlin Brundo envahit littéralement l'écran dans cet appartement presque trop exigu pour lui. Face à lui, les yeux rivés sur la scène, deux visages masculins parfaitement semblables et immobiles semblent en extase, fascinés. La bande-son crachotante déballe alors leur dialogue favori, qu'ils attendent, impatients, comme à chaque fois qu'ils regardent ce vieux film. Brundo, face à sa partenaire, se présente, d'une voix très sensuelle :

".. Fletcher Christian, c'est mon nom... Fletcher."

Un sifflement de joie jaillit soudain de la bouche de l'un des deux admirateurs, tandis qu'il s'enfonce allègrement dans son vieux divan aux couleurs délavées. L'autre, plus discret, n'en reste pas moins excité. Mais, synthétique oblige, ses émotions sont dans la retenue. Son regard parle cependant pour lui, brillant de satisfaction.

Fletcher Guy met le film en pause et se lève pour aller voir s'il ne reste pas une Bner'gétic dans le rafraîchisseur. La scène mérite bien d'être arrosée, ce qu'il fait d'ailleurs à chaque séance. Tout en buvant sa Bner' il regarde son comparse et l'apostrophe comme il le ferait avec un vieil ami. L'autre se nomme 2-6CLOB7G, surnommé Rio par Fletcher, comme l'un des héros des films avec son acteur favori. C'est un Synthétique à domicile, qui lui avait été alloué grâce à son boulot de détective pour la S.C.Cie (Synthétique City Compagnie), la plus importante firme de la cité. Fletcher le félicite, il a bien rempli le rafraîchisseur.
 
En effet, le travail de Rio, tout comme celui d'une multitude de ses congénères, n'était pas bien compliqué. Il consistait à entretenir le petit appartement de son employeur, à gérer le remplissage du rafraîchisseur, du G-M (Garde-manger) et l'entretien du G-R (Garde-robe). En 2199, tout avait été simplifié au plus strict sens du terme. Le vocabulaire comme les sentiments, la nourriture comme les relations. L'humain n'avait pas évolué comme il aurait pu le faire, il y a une centaine d'années déjà. La prise de conscience de l'époque n'avait pas suffi à changer les choses. Ou plutôt, n'avait pas suffi à changer le comportement du plus grand nombre.

Ainsi, les clones synthétiques étaient apparus, pour travailler aux côtés de certains humains. Respectés pour leurs grandes et multiples capacités d'abord, sans la capacité de réfléchir cependant, il n'avait pas fallu longtemps avant que l'un de nous ne songe à soulager ses corvées, grâce à eux.

Et ce que l'un fait...

Cinq ans après la création du premier clone synthétique, quatre-vingt pour cent d'entre eux n'étaient utilisés que pour les basses besognes, les travaux pénibles ou dangereux. L'humain avait basculé dans la facilité, au détriment de ces pauvres créatures sans réel avenir.
 
Fletcher Guy, lui, n'abusait pourtant pas de la docilité de son Synthétique. Il l'aimait bien même. À trente ans, solitaire et renfrogné, un physique agréable cachant un cerveau de la taille d'une bille, ce dernier respectait Rio, et leur cohabitation se déroulait au mieux. Il faut dire que Fletcher était très souvent absent. Son travail de détective pour les dirigeants de la S.C.Cie lui prenait la majorité de son temps. Vous pensez bien, détective spécialisé dans l'adultère, il y avait de quoi faire dans ce monde décadent ! Mais, même dans cette profession, qui consistait tout bonnement à suivre le ou la coupable et à immortaliser le délit, il ne brillait pas. La S.C.Cie le gardait pourtant, surtout grâce à son chef, haut placé dans la hiérarchie. Ce dernier avait pitié de Fletcher, qui aurait fini à la rue sans ce travail. Mais c'était également parce qu'il l'utilisait pour ses propres besoins, principalement de faux témoignages dans des affaires privées. Fletcher avait donc un pied, et le bon, dans la société, son statut était assuré.
 
Comme chaque jour après le visionnage d'un film rétro, Fletcher avait quitté l'appartement, laissant Rio à ses corvées. Ce que le détective ignorait, c'est que son Synthétique effectuait très rapidement son travail, grâce à sa puce de vélocité, pour ensuite se consacrer au visionnage de nombreux films rétros qu'il pouvait dénicher dans la vidéothèque de la résidence. Surtout les films évoquant des héros masculins charismatiques. Rio adorait ce genre de personnages auxquels il s'identifiait, devenu plus accro au cinéma d'antan que son employeur, même. Il s'imaginait dans les situations vécues par ce jeune homme en blouson de cuir, juché sur un deux-roues, et à la place de ce séducteur auquel aucune femme ne résistait. Il en connaissait les dialogues par cœur, et les murmurait pendant le déroulé des films. Ainsi donc, les journées défilaient, quasi identiques pour Fletcher et Rio. L'un en filatures routinières, l'autre en corvées attitrées, pour se retrouver chaque soir ensemble devant le grand écran, où se libéraient leurs frustrations intimes.

Mais un jour, Fletcher avait joué de malchance. Planqué sur un gros coup pour le grand chef de la S.C.Cie, il avait dû faire appel à Rio. Hélas, lorsque le Synthétique s'était présenté à l'entrée de la rue sombre où se cachait son employeur, ce dernier se faisait écraser sous ses yeux contre une citerne de retraitement des déchets par un Synthétique puissamment musclé, au service de la femme adultérine qu'il était chargé de surveiller.
 
Dans le vacarme assourdissant produit par la citerne, personne n'avait rien vu, ni entendu, hormis Rio.

Il était donc seul témoin de ce meurtre. Il aurait dû le signaler. Il aurait pu. Mais il n'en avait rien fait. L'action n'avait pas été enclenchée dans ses processeurs, probablement. Et au contraire même, il avait poursuivi son chemin et son travail, comme si rien ne s'était passé. Allant même jusqu'à répondre aux messages du chef de Fletcher. Allant même jusqu'à prendre sa place et continuer les enquêtes, en se faisant passer pour Fletcher Guy. Personne dans la S.C.Cie, à part son chef, n'avait jamais rencontré le détective qui travaillait dans l'ombre, communiquant par messages écrits ou vocaux, selon le cas. Rio avait même pensé à modifier son timbre de voix, et il connaissait par cœur l'emploi du temps de Fletcher. Il pouvait donc tenter de le remplacer. Ce qu'il avait fait, tout naturellement, se contrôlant lui-même lorsque la S.C.Cie l'exigeait.

Il réussit finalement à mener son petit bonhomme de chemin, sans que personne n'en soupçonne rien.
 
Car le corps de Fletcher Guy n'avait pas été retrouvé. Le Synthétique de la femme adultérine avait été très efficace, sûrement une histoire d'argent là-dessous. L'infortuné détective avait donc bel et bien disparu, laissant la place à son chanceux Synthétique. Mais ce dernier n'avait pas dit son dernier mot, en revanche. Quelques semaines plus tard, il était, mieux que Fletcher ne l'avait fait, parvenu à surprendre en flagrant délit sa meurtrière, pour finalement réussir à la faire envoyer en exil dans une autre cité, pour trois ans. Sentence très courante pour ce genre de délit. Ceci fait, ses processeurs en paix avec eux-mêmes, Rio avait repris sa vie routinière, mais somme toute plus agréable qu'auparavant. Car il n'était plus un simple Synthétique à domicile, avec tous les inconvénients que cela comporte. Il était devenu détective et vivait seul et en maître dans son appartement, tout en profitant à loisir de toutes les commodités de la résidence, dont la vidéothèque, la salle de sport et la piscine à bulles, entre autres.
 
Il ne faut pas oublier que toute histoire comporte une fin, qu'elle soit heureuse ou regrettable. Dans le cas de Rio, elle aurait pu n'avoir jamais lieu. Car, en tant que Synthétique, avec une durée d'existence illimitée sous d'excellentes conditions de fonctionnement et d'entretien, il y avait de fortes chances pour qu'il coule des jours heureux à perpétuité. C'était sans compter sur la malchance, encore une fois. Car, pour tout crime caché, il faut que la vérité éclate. Quelques mois après la mort de Fletcher, alors que Rio était confortablement installé dans sa nouvelle existence, le destin avait commencé à se faire capricieux. Rio s'était vu confier une grosse affaire : un adolescent, fils du numéro 2 de la S.C.Cie, menait une double vie. Sage étudiant le jour vivant chez ses parents, il devenait la chose sans nom d'un milicien, aux heures les plus sombres de la nuit. Son joli visage d'ange avait été aperçu dans plusieurs rues de la cité, ainsi que dans des boîtes et des bars où régnaient corruption, drogue et prostitution. Rio avait donc reçu, d'un jeune chef aux oreilles et aux dents longues, la mission de démontrer la double vie du jeune étudiant, faisant ainsi tomber le statut irréprochable de son père aux yeux des pontes de la S.C.Cie. C'était encore et toujours ainsi qu'agissaient les humains, pour atteindre leurs objectifs, mener une vie luxueuse et paisible dans les hauts étages de cette société dégoulinante de cruauté.
 
Rio avait donc établi ses plans, épié le jeune homme durant de nombreuses nuits et trouvé aisément ses failles. Les tous premiers Synthétique, dociles et travailleurs, n'avaient pas reçu l'activation de leurs processeurs liés à l'intelligence. Bien que ressemblant parfaitement à des humains, ils agissaient tels des robots sans âme. Avec le temps, ce choix de l'humain s'était avéré décisif. Le Synthétique faisait ce qu'il avait à faire, sans discuter. Mais, certains chercheurs, plus empathiques peut-être, plus "humains" que d'autres, avaient décidé de violer le règlement en activant des puces bien précises, sur une centaine de Synthétique de la chaîne de conception. Rio l'avait reçu, et Fletcher n'en avait jamais rien soupçonné. Ceci expliquait certains des comportements du Synthétique, et surtout son choix de ne pas déclarer la mort de Fletcher. Car il avait visualisé son destin, s'il l'avait fait : un nouveau placement, ou tout simplement une mise au rebut. Nombre de ses frères avaient été retrouvés, en pièces détachées ou rendus inutilisables, il l'avait appris par Fletcher. La puce s'était donc activée à l'instant où il avait vu le corps de Fletcher écrasé et la décision s'était imposée en toute logique. Aujourd'hui, il n'avait qu'une chose à faire, filmer l'étudiant en compagnie du milicien dans une situation compromettante, suffisamment pour que le délit soit irréfutable. Seulement, lorsqu'il avait suivi l'étudiant jusqu'aux quais de déchargement des G-M (la nourriture ne se présentait plus que sous forme de sachets lyophilisés) sur son engin deux-roues comme son héros de cinéma, tout ne s'était pas passé comme prévu.
 
Le milicien et son jeune protégé étaient bien là, mais d'autres personnes aussi, qui avaient entouré l'étudiant, jusqu'à l'étreindre et commencer à le malmener. Rio, sanglé dans son blouson noir, sa caméra filmant en continu sur son épaule, n'avait pu contrôler l'amalgame fait par son processeur, entre cette bagarre et la scène d'un film qu'il ne connaissait que trop bien. Et surtout l'épilogue. Alors, sur ce quai, tout se reproduisit, à l'identique. Rio était le héros du film. Rio ne réagissait pas, tétanisé. Les dents serrées, tout voir et ne rien faire. La caméra avait tout filmé, mais plus rien n'existait pour lui que cette scène et en être le héros.

En contrebas, sur le quai devenu désert, le jeune homme gisait désarticulé sur le sol, battu à mort.
 
Dès son retour à l'appartement de Fletcher, Rio avait transmis la vidéo où l'on pouvait nettement voir le milicien regardant mourir ce pauvre jeune homme, sans broncher. La place tant convoitée par le jeune chef aux dents longues allait se libérer sous peu, car les autres preuves récoltées par le Synthétique confirmeraient les liens trop étroits entre cet homme et l'étudiant. L'enquête se rapportant au meurtre ne le concernait plus à présent. Lui, avait seulement les images en tête. Il avait été le témoin muet d'un nouveau meurtre. Mais, comme son héros, il se sentait hors d'atteinte une fois encore. Il était le détective Fletcher Guy, avec toutes les prérogatives autorisées qui en découlaient. Il était Fletcher Christian aussi, avec son charisme et cette forte personnalité qui l'avait mené à une mutinerie. Il était Rio, le troublant cow-boy au grand cœur, auquel aucune femme ne résistait.

Dangereux mimétisme...

À la réception de la vidéo, il y avait eu du remue-ménage dans les hautes-sphères, comme prévu par le commanditaire de la surveillance. Des décisions avaient été prises, pour ne pas laisser ce crime impuni, puis pour remonter jusqu'au milicien corrompu. Une détective à l'excellente renommée, nouvellement mutée dans la cité s'était vu confier "l'affaire de l'étudiant", qui semblait peu enviable. Il s'agissait tout de même du fils d'un haut-rang, un étudiant mêlé aux bas-rangs, et qui était mort dans d'étranges circonstances. Et il n'était visiblement pas le premier...
 
Pendant les quelques mois suivant la mort du détective, la gérante de la résidence où logeait Rio avait maintes fois tenté de joindre Fletcher Guy, au sujet d'une réclamation déposée le jour de sa mort. Connaissant quelque peu ses horaires de jour, elle était montée à l'appartement des dizaines de fois, sans succès. La seule chose qu'elle avait retiré de tout cela, c'était la présence de Rio, tous les jours. Excédée et presque inquiète, elle avait finalement décidé d'aller signaler sa disparition. Mais sur la pile de disparitions déjà en place, celle qui concernait un petit détective sans envergure n'avait pu qu'être placée en attente.
 
Rio avait eu vent de toutes les visites de la gérante et en avait été légèrement troublé. Mais, sûr de lui, il avait pensé que sa couverture était parfaite. Cependant, un soir, lorsque la femme était revenue à la charge et qu'elle avait fait un esclandre devant la porte de l'appartement, il avait paniqué, silencieux derrière la porte. Dès qu'elle s'était calmée et que les quelques voisins curieux étaient rentrés chez eux, il avait ouvert pour la prier d'entrer, à sa grande surprise.

Que s'était-il passé dans l'appartement ? Toujours est-il qu'elle n'en était jamais ressortie. Tout au moins, vivante.
 
En fait, Rio avait tout essayé. La séduction, la pitié, la peur, rien n'y avait fait. Cette femme avait fermement décidé de le dénoncer s'il n'allait pas faire sa déclaration à la milice, afin de faire avancer l'enquête sur Fletcher Guy. La situation avait alors soudainement basculé. L'un des rôles tenus par son héros s'était brusquement emparé de lui, et il avait finalement serré le cou de la gérante pour la convaincre, mais en vain. Le cou n'avait pas résisté à la force du Synthétique. Et sans un remords, tout à sa scène de film encore présente en lui, il s'était débarrassé du corps de la malheureuse dans la broyeuse du G-M (Garde-Manger).
 
La détective en charge de l'enquête sur la mort de l'étudiant était tombée sur la déposition de la gérante. Elle s'était rendue à la résidence, pour interroger la gérante. Mais elle aussi, était introuvable. Elle avait donc rendu visite à quelques voisins de Fletcher Guy, dont les plus proches de Rio. Tout le monde ignorait où était la gérante, mais le Synthétique de Fletcher avait été plusieurs fois évoqué, sans que personne là aussi n'ait été capable de dire où il se trouvait. La détective, très intriguée, s'était donc postée discrètement dans l'un des couloirs adjacents, puis avait attendu jusqu'à la nuit. Sa patience avait été récompensée, car vers minuit, Rio était sorti de l'ascenseur pour se diriger vers l'appartement du disparu. Elle n'avait rien fait pourtant, mais était revenue à son poste le lendemain matin. La filature avait duré ainsi toute une semaine, apportant à la jeune femme toutes les informations qu'elle attendait. Elle avait compris que Rio jouait les détectives sous le nom du disparu, et qu'il vivait seul dans son appartement. Personne d'autre n'y entrait, n'y en sortait.

Mais elle avait également constaté que Rio avait un comportement étrange pour son statut. Il agissait plutôt comme un humain, à bien des égards, et parfois cela l'avait même amusée. Seulement, où pouvait bien être Fletcher Guy et la gérante de la résidence ? Et se pouvait-il qu'il y ait un lien entre le Synthétique de Fletcher et l'étudiant ? Car elle savait que des preuves avaient été apportées pour dénoncer la double vie du jeune homme. Mais qui, hormis un détective, pouvait être chargé de ce travail ? Les réflexions de la détective s'étaient faites plus précises, tout au long de la semaine, mais elle avait attendu d'en avoir le cœur net. L'interpellation du Synthétique mettrait sûrement le point final à cette affaire tortueuse...
 
A l'aube du dixième jour, elle l'avait attendu, à sa place habituelle, décidée à l'interpeller dès qu'il quitterait l'appartement. Les couloirs étaient déserts à cette heure matinale, mais ce jour-là, l'une de ses voisines sortit en même temps que lui. Elle l'avait appelé au moment où la détective s'élançait vers Rio, avec son badge à la main. Rio n'avait eu que quelques secondes pour comprendre ce qui allait se produire. De loin, il avait reconnu le badge, et il était en mauvaise posture avec ses trois cadavres cachés dans sa MémoPro. Il avait pris son élan pour foncer vers les ascenseurs, et fuir, le plus loin possible. La détective l'avait vivement pris en chasse, cette fuite appuyant sa thèse de la culpabilité du Synthétique. Ils avaient parcouru au moins une dizaine de quartiers, lorsqu'elle l'avait enfin rattrapé. Ils étaient restés face à face un long moment puis elle lui avait sanglé les poignets, avant de l'emmener sur les hauteurs d'un immeuble à l'abri des oreilles et des regards. Là, Rio, tout penaud, avait tout avoué, tout expliqué. La mort inattendue de Fletcher, celle, malheureuse, du jeune étudiant. Puis enfin, son vrai crime envers la gérante. C'était étrange pour la jeune femme, car Rio avait tout déballé, comme s'il avait récité un texte appris par cœur, tout en mimant à la perfection les trois scènes. En jurant maintes fois et avec une conviction émouvante, qu'il ne recommencerait plus jamais. Qu'il était somme toute un bon détective. Il s'était exprimé, avait gesticulé comme un parfait acteur l'aurait fait. Tout s'était peu à peu éclairé pour elle, et dans un profond soupir que l'on aurait pu interpréter comme de la pitié, elle avait pris quelques minutes de réflexion, le regard rivé sur le sien.

Rio était persuadé qu'elle allait appeler la milice et que son avenir était tout tracé. De ce vieil immeuble, direction le rebut.

C'est son G-Com qu'elle aurait pu sortir de sa poche, pour appeler la milice, mais c'est une carte qu'elle avait fait jaillir de sous ses vêtements, à hauteur de sa poitrine, et qu'elle avait placé sous le nez de Rio, en se rapprochant lentement de lui.

Rio avait fait erreur. C'était une carte semblable à la sienne, et qui comportait le matricule 2-6CLOb8G.

La jeune femme était donc elle aussi un Synthétique, de la même génération que lui. Et dont "la" puce avait également été activée.

Rio était resté muet de stupéfaction, totalement déconcerté.

En quelques mots, elle avait énuméré ses chefs d'accusation, et ce qui l'attendait si elle le dénonçait. Rio avait opiné du chef, toujours muet, pour montrer qu'il avait compris. Et puis, tout en arrachant la carte de Rio, tout en la détruisant en même temps que la sienne, elle lui avait révélé son passé et les raisons qui l'avaient conduite jusqu'ici. Sa propriétaire morte dans ses bras, vraisemblablement d'une maladie liée au cœur. Et, tout comme Rio, sachant pertinemment quelle pouvait être sa destinée, elle avait décidé de se débarrasser du corps et de quitter l'ancienne cité, pour une plus lointaine, où elle avait pris son identité et poursuivi son travail. Brillante et rusée, grâce à l'activation de la puce, elle avait réussi à se faire un nom dans ce milieu. En le surveillant, elle en avait déduit que tous deux étaient identiques, frères et sœurs, en quelque sorte. Mais eux seuls. Y en avait-il d'autres comme eux, elle l'ignorait.
 
Voilà pourquoi elle avait décidé de ne pas arrêter Rio. Muet d'admiration et de consternation jusque-là, il avait retrouvé sa voix, pour s'enquérir de ce qu'elle allait faire de lui. Dans son esprit de Synthétique, qui fonctionnait en continu et tous azimuts, les paroles de sa "sœur" résonnaient encore. Il n'avait jamais pensé être différent des siens, et surtout, rencontrer un Synthétique comme lui. Elle avait gardé le silence tout en sectionnant d'un coup sec les sangles de ses poignets, rajusté sa chemise et son blouson, puis reculé jusqu'à la porte qui donnait aux escaliers de service où elle lui avait montré la direction à prendre, pour fuir. La liberté était au bout de cet escalier sombre.

Tandis qu'il s'était engagé dans l'embrasure de la porte, hésitant et bouleversé encore, elle avait murmuré, presque pour elle-même :
 
- Va, sauve-toi, pars loin, très loin, comme je vais le faire... Et utilise les capacités qui nous ont été données pour te fondre dans la masse et trouver ta place, dans ce monde en perdition.
 
Ce qu'il avait fait, en l'écoutant à la lettre. Cette Synthétique venait de lui donner sa chance, il en était conscient.

Une fois en bas de l'immeuble, il avait chevauché son engin deux-roues puis avait pris la direction de l'extérieur sud de la cité, la plus proche du quartier où ils se trouvaient. Derrière ses Eyes-pro (lunettes de protection) aux reflets irisés, il en avait parcouru les rues grouillantes tout en surveillant ses arrières. Dans le centre, où se trouvaient la majorité des boutiques de luxe, il avait été stoppé quelques longues minutes par la présence d'un défilé de mode de Synthétiques peu vêtues. Son regard affûté n'avait pourtant pas été attiré plus que cela par ce charmant spectacle, non. C'est un vieil écran de télévision des années 2000 perché sur un socle, qui avait captivé son attention, dans la vitrine d'une boutique antique. Sur l'écran, malgré tout en piteux état, il faut le dire, on pouvait voir des rediffusions d'anciennes émissions, de vieux films ou reportages sans interruptions. Et sous les yeux de Rio, venait d'apparaître un très bel homme, magnifique dans un costume épousant les formes musculeuses de son corps et un verre à la main.
 
Quelques secondes se perdent dans ses processeurs, il est subjugué et son faciès se métamorphose lentement..
 
Un rapide coup d'œil au défilé lui avait permis de comprendre qu'il pouvait s'en dégager et foncer vers la sortie sud. Il avait alors retiré et jeté son blouson sur le sol, rajusté le col de sa chemise puis remis les gaz, faisant ronfler son engin plus qu'il n'aurait fallu, tout en parlant à voix haute.
 
- Mon nom est Bond, James Bond..
 
Pour Rio, d'un héros à l'autre, il n'y a qu'un pas."

Siebella ChTh 28.04.2024

Siebella CHTH
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𝗟𝗘 𝗚𝗔𝗟𝗜𝗢𝗡 𝗗𝗘𝗦 𝗘𝗧𝗢𝗜𝗟𝗘𝗦 𝗘𝗦𝗧 𝗨𝗡 𝗦𝗜𝗧𝗘 𝗦𝗔𝗡𝗦 𝗣𝗨𝗕𝗟𝗜𝗖𝗜𝗧É. 𝗩𝗼𝘂𝘀 𝗮𝗶𝗺𝗲𝘇 𝗻𝗼𝘀 𝗮𝗿𝘁𝗶𝗰𝗹𝗲𝘀, 𝗺𝗮𝘁𝗲𝗹𝗼𝘁𝘀 ? 𝗩𝗼𝘂𝘀 𝗽𝗼𝘂𝘃𝗲𝘇 𝗳𝗮𝗶𝗿𝗲 𝘂𝗻 𝗱𝗼𝗻 𝗲𝘁 𝗮𝗶𝗻𝘀𝗶 𝗻𝗼𝘂𝘀 𝘀𝗼𝘂𝘁𝗲𝗻𝗶𝗿 !

💬Commentaires

1.Posté par Koyolite TSEILA le 19/05/2024 08:42 | Alerter
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KoyoliteTseila
Avec curiosité et enthousiasme, j'ai réglé la destination de ma DeLorean pour l'année 2199, désireuse de découvrir cette nouvelle histoire de SF écrite de ta plume. C'est un texte vraiment très agréable, riche en références, en humour et en jeux de mots. Une histoire futuriste que j'ai lue avec grand plaisir. Merci Siebella !

2.Posté par Jean Christophe GAPDY le 20/05/2024 08:09 | Alerter
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JCGapdy
Ce récit nous révélerait-il les dessous d’une mutinerie, celle des 2-6CLOBxG ? Nous serions en droit de nous le demander en le « refermant ». Le sourcil s’arque dès la première phrase, mais très vite on ne se demande plus par quel « bout ni » quel « côté » le prendre. On sourit, tout en gardant le sourcil arqué, car « Où diantre va nous mener l’autrice ? », alors que les fatidiques chutes s’enchaînent, non depuis la grande verge, mais dans des lieux où un PI (private investigator) a bien sa place. Et dire que tout cela commence par de simples traques-surveillances matrimoniales par un « pas-très-doué »...
Nous avons droit à une aventure bourrée de clins d’œil, de sous-entendus prêtant à rire, d’une joyeuse désinvolture et de moult petites piques à nos « travers d’humains » autant qu’à une fin dans la veine hopepunk tout en restant quelque peu « déjantée » (ou hors des clous du sérieux, devrais-je dire). Bravo et merci. J’en redemande.

3.Posté par Robert YESSOUROUN le 20/05/2024 08:29 | Alerter
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Yessouroun
Photophobe, d’habitude, j’ai de la peine à lire sur écran. Mais le texte « 2199 : Puces caméléons » m’a d’entrée de jeu intrigué. Je me suis senti très proche de ce récit, avec ce clone synthétique féru de cinéma qui joue d’abord le rôle d’un robot domestique. À la mort de son maître, le Synthétique se soucie de son propre sort, se transforme en détective grâce à une puce « de chercheurs plus humains que d’autres ». Le texte est fluide, bien écrit,, plein d'humour, captivant. J’ai vraiment sympathisé avec cet androïde (dont l’allure finale doit plaire aux femmes). Merci à Siebella ChTh.

4.Posté par éric MARIE le 20/05/2024 11:13 | Alerter
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ATRAVERSLESPACE
Une société futuriste, mais pas si éloignée, un synthétique plutôt romantique, un enquêteur pas à la hauteur et nous voilà entraînés dans un polar où la confusion des sentiments apporte sont lot de cadavres. Usurpation d’identité, le vrai, le faux et puis qu’importe pourvu qu’on ait l’ivresse. L’ivresse de la liberté, chacun vit sa vie comme il croit l’entendre … et s’il y a une ‘’Happy End’’ alors c’est l’ébauche d’une belle histoire. Un texte que j’attendais, me voilà contenté.
Ton nom de code est Siebella, Siebella Ch Th. Bravo et merci pour le partage.

5.Posté par Michel MAILLOT le 20/05/2024 14:22 | Alerter
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mmaillot
Liberté pour le Synthétiques !

Un slogan du futur, qu'on clame haut et fort. Des affiches qu'on colle la nuit venue quand la patrouille passe au large. Vite, encore une, pour qu'éclate au grand jour l'intolérable condition. Marre de jouer les doublures, de faire les cascades, de prendre les risques à la place des mannequins de chair. Comme l'ombre de Peter Pan qui décide de voler de ses propres ailes, on veut nous aussi notre part de bonheur. Rio, Rio Grande, chante le Synthétique avec la voix de Bashung dont il vient d'entendre la chanson sur Aérostrade FM. Avec sa belle gueule de Sean, c'est pas des Connery, il va en faire chavirer des cœurs. Des Bonds dans les cages thoraciques. Synthétiques ou humaines, peu importe la poitrine pourvu qu'on ait l'émoi. 😉

Bon, on se calme, l’Aston Martin se transforme en deux roues, mais Rio est sur le coup. Les vilains espions ont intérêt à se tenir à carreau s’ils ne souhaitent en décorer la surface.

Merci Siebella, pour cette histoire mouvementée qui nous entraîne avec jubilation assurée dans un futur où tout est possible.

6.Posté par Christobal COLUMBUS le 21/05/2024 15:41 | Alerter
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ChristoColumbus
Une bien belle intrigue nous transportant dans un futur quelque peu inquiétant, autant du côté humain que du côté synthétique, surtout lorsqu'ils s'identifient à des personnages de fiction tout en se prenant pour un véritable humain 😯 Bravo et merci Siebella's !

7.Posté par B BLANZAT le 13/06/2024 12:53 | Alerter
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Blanzat
Intrigante intrigue, on suit dès les premières lignes cette histoire à tiroirs, avec en tête les jeunes premiers américains. Entièrement d'accord avec Jycé : les révoltés de la Bounty errent entre ces lignes.
En parlant de Jycé, coup de chaud tout de même avec les chutes "de la grande verge", monsieur a de l'ambition !

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