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Mort au champ d'étoiles | Bernard Villaret | 1970


Une fiche ajoutée dans nos cales par | 12/06/2023 | Lu 237 fois






Mort au champ d'étoiles @ 1970 éditions Marabout | Illustration de couverture @ Henri Lievens | Photo @ J.-M. Archaimbault, édition privée
Mort au champ d'étoiles @ 1970 éditions Marabout | Illustration de couverture @ Henri Lievens | Photo @ J.-M. Archaimbault, édition privée

Illustration et quatrième de couverture

- Les vertigineux attraits de demain
- De l'exploration à la Science-Fiction, une interview de Bernard Villaret
- Un des romans de Science-Fiction les plus originaux de ces dernières années
- Lisez en fin de volume le dossier Marabout

Fiche de lecture

En 1976, à trente-quatre ans, par curiosité vis-à-vis du futur et suite à une déception sentimentale qui lui a fait perdre toute attache avec ses proches, l’ethnologue Jacques Seurat a choisi l’hibernation. Lancée en grande pompe, l’opération tentée par cinquante courageux pionniers a vite été oubliée. En 2058, un banal court-circuit provoque le réveil des « endormis » mais seuls trente-cinq, dont Jacques, auront survécu à l’expérience.

Loin d’être traités comme des héros, les « bisâgés » sont considérés tels des fossiles vivants un peu gênants et gentiment mis à l’écart du reste de la société car, finalement, on ne sait pas trop quoi faire d’eux. Requalifié comme métallurgiste sur la base de vieilles études et de diplômes impossibles à retrouver, Jacques reprend possession de sa grande maison familiale, datant de 1820, dans un village entre Saint-Jean d’Angély et Niort, un hameau dont il est le seul et unique habitant.

Il retourne ainsi à la nature, à ses racines et à ses souvenirs du temps jadis où la campagne n’était pas dépeuplée. La découverte du monde du milieu du XXIe siècle lui procure surprise après surprise, étonnement après étonnement. La Terre a vu s’accomplir nombre de progrès, notamment technologiques, en parallèle à une régression considérable de la culture, des arts, des relations sociales, et à une réduction colossale de sa population. On ne travaille plus qu’un mois par an, les loisirs sont stéréotypés et artificiels, voire inexistants, l’ennui et la morosité dominent, la majorité des gens ont pour idéal de s’en aller vers d’autres planètes lointaines très prometteuses grâce au procédé miraculeux de la Téléportation. Inventé en 2020 par le génial John Couturier, le transfert instantané de matière est devenu opérationnel à grande échelle en 2045 et, en treize ans, quatre-vingts pour cent de la population mondiale ont migré vers les étoiles.

Autant dire que Jacques Seurat s’intègre difficilement dans ce nouveau contexte où bien des valeurs anciennes n’ont plus cours. Clara Savignac, femme-médecin seule habitante du plus proche village, l’aide par sa patience, ses connaissances et son amitié. Mais elle comprend mal ce qui confine l’homme du passé dans ses regrets des temps révolus et ce qui le bloque dans l’acceptation du monde actuel. Car plus Jacques en découvre sur cette déroutante époque, plus il se pose de questions sur ce qui a bien pu orienter ainsi l’évolution humaine, à contre-courant, entretenant les individus dans une apathie cotonneuse habilement contrôlée…

***

Médecin et explorateur, Bernard Villaret (1909-2006) a publié en 1970 cette première incursion dans la science-fiction, un roman qui ne se focalise ni sur l’action, ni sur l’approfondissement historique des mutations subies par la planète en matière de géopolitique, de rapports internationaux, d’économie… Au contraire, l’auteur se préoccupe davantage de la psychologie du personnage principal et de ses réactions face à un futur aux antipodes de ce qu’il avait imaginé. Le livre n’a pas été très bien accueilli à sa sortie (voir la critique de Jean-Pierre Andrevon dans Fiction n°202, octobre 1970, consultable sur noosfere), les suivants de Bernard Villaret non plus et, tout comme ce « Mort au champ d’étoiles », ont pour ainsi dire sombré dans l’oubli. C’est quelque part bien dommage, à mon avis personnel…

Il y a un peu plus de cinquante ans, et aujourd’hui encore, ce roman fort bien écrit m’a tout d’abord marqué par ses facettes régionalistes et son ancrage dans un terroir qui m’est familier, le pays niortais, à la limite des Deux-Sèvres et de la Charente-Maritime. Projetant un siècle dans le futur ces petits villages déjà moribonds à l’époque où il rédige son livre, Bernard Villaret restitue avec justesse leur ambiance de solitude et de silence encore exacerbés. Niort et La Rochelle valent elles aussi le détour par maints détails bien imaginés. La perception, le ton, maints accents caractérisant le repli sur soi font un peu penser à Simak lorsqu’il évoque son Wisconsin natal et, c’est pour le moins étonnant sinon paradoxal, préfigurent le Jean-Pierre Andrevon du « Désert du monde ».

Certes, l’action est peut-être lente, voire quasi absente, nombre d’idées sur cet avenir maintenant proche et d’extrapolations sociologiques ou techniques ne sont pas d’une originalité fracassante, la visite rapide sur Mars est assez stéréotypée. Et le « deus ex machina » final, déjà vu ailleurs sous d’autres formes, fait son petit effet non dénué d’humour même s’il semble un peu plaqué dans les dernières pages… Mais « Mort au champ d’étoiles » a son charme, ses attraits, bénéficie d’un style bien maîtrisé, s’avère riche en connotations piquantes sur les travers de notre Humanité actuelle.

Ainsi : « À notre époque où les beaux-arts et la littérature se sont révélés peu à peu stériles et superflus dans un monde désabusé, les seuls artistes qui nous restent sont les plombiers. » (p.67)

Ou encore : « Une langue universelle s’est imposée presque partout (…) Avec son vocabulaire limité à mille mots, sa simplification grammaticale poussée à l’extrême, son absence d’abstraction, c’était exactement le moyen d’expression qui devait convenir à une Terre en décadence, ayant perdu toute curiosité intellectuelle. » (p.135)

Quant au « fond du problème », une fois dévoilé, il explique assez astucieusement, selon moi, l’état de notre pauvre monde en 2058.

Tout n’est pas parfait dans ce roman. Pourtant, le lecteur aura suivi avec plaisir et curiosité Jacques Seurat alors qu’il empile tout d’abord les interrogations puis collectionne les indices troublants, accumulant sans en avoir conscience certaines pièces maîtresses d’un puzzle complexe. Il se sera bien laissé entraîner dans son questionnement, ses désillusions, son nouvel échec sentimental (une péripétie non indispensable car passablement « téléphonée », comme l’on dit). Et il n’oubliera surtout pas la rapide excursion dans le sublime Marais Poitevin – hélas en grande partie retourné à l’état sauvage – où, au crépuscule, un spectacle pour le moins incongru orientera d’un seul coup notre héros vers la clef de l’énigme.

Si vous en avez l’occasion, n’hésitez donc pas, lisez ce sympathique et divertissant petit ouvrage !

Jean-Michel Archaimbault
Copyright @ Jean-Michel Archaimbault pour Le Galion des Etoiles. Tous droits réservés. En savoir plus sur cet auteur


💬Commentaires

1.Posté par Didier REBOUSSIN le 12/06/2023 09:23 | Alerter
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alvin
Merci Jean-Michel de remettre sur le devant de la table cet ouvrage d'un auteur méconnu mais talentueux, que j'ai eu la chance de rencontrer lors d'un de ses passages à Paris. (Il habitait à Bora-Bora). Grand spécialiste des civilisations amérindiennes et un homme charmant. Son premier roman de SF est de bonne tenue.

2.Posté par Koyolite TSEILA le 12/06/2023 09:37 | Alerter
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KoyoliteTseila
Ce que j'aime bien avec tes articles, c'est l'art de ressortir de tes cales des trésors perdus ou oubliés et de nous les présenter avec des anecdotes personnelles. Très chouette, merci.

3.Posté par Fantasio ARDENNES le 12/06/2023 10:13 | Alerter
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Fantasio
Enfin une bonne critique de ce bouquin que j'avais beaucoup aimé et qui a été injustement descendu en flamme lors de sa sortie. C'est une lecture que je conseille vraiment.

4.Posté par JEAN-MICHEL ARCHAIMBAULT le 12/06/2023 10:37 | Alerter
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JMARCHAIMBAULT
J'ai deux articles en réserve, je te les enverrai dès que je les aurai "tapés" (eh oui, je rédige encore les brouillons sur papier avec stylo, ça aide à bien peser ses mots... mais c'est parfois coton à relire car j'en mets dans tous les sens !).
Et j'en prévois d'autres au fur et à mesure de mes lectures ou relectures... C'est un bon moyen pour ne pas faire que consommer des pages, ça maintient l'esprit en saine activité et ça permet aussi de partager.
Heureux que celui-ci te plaise, Kap'tain, ainsi qu'à Didier Reboussin et Fantasio Ardennes ! 😉

5.Posté par B BLANZAT le 12/06/2023 16:53 | Alerter
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Blanzat
L'avenir de la culture est une vraie préoccupation que je comprends tout à fait dans le domaine SF. Il y a bien sûr Shakespeare qu'on exhume dans Le meilleur des mondes, les mémoires vivantes de Fahrenheit 451, et sûrement d'autres cas. Ces deux exemples sont d'ailleurs ce qu'on appelle aujourd'hui des dystopies. D'après ton article, le roman de Villaret n'est pas vraiment sur ce thème, mais il est important de poser cette question. Ce qui doit être intéressant, et qu'on oublie peut-être quand on aborde le sujet, c'est la relation avec le régionalisme et une culture plus large. Quand l'humanité se referme sur elle-même, elle commence par éliminer la culture des autres, avant de s'attaquer à la sienne. Il ne reste que des esprits vides et dociles, en fuite face à la difficulté d'être face à eux-mêmes. Pascal le disait mieux que moi "Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre".

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