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On dirait la planète Mars | Viking | 2022


Une fiche ajoutée dans nos cales par | 13/08/2023 | Lu 591 fois





Affiche et synopsis

La première mission habitée sur Mars est en péril.

Pas de panique : une branche canadienne de l’agence spatiale envoie dans une base en plein désert cinq anonymes sélectionnés pour leurs profils psychologiques quasi identiques à ceux des astronautes. Ils doivent vivre comme eux, penser comme eux, être comme eux, pour anticiper et résoudre les conflits.

Mais ici ce n’est pas tout à fait la planète Mars. Et ce ne sont pas vraiment des astronautes.

Présentation

UFO, la boîte de distribution de ce film, annonce une cosmique-comédie. Des gens ordinaires doivent endosser le rôle des membres d’équipage partis pour Mars. Un prof de sport devient le double de l’ingénieur spatial, un vieux monsieur joue le rôle d’une exobiologiste, etc. Ces doubles improbables ont le même effet comique que la relance Jumanji avec des avatars complètement farfelus, mais inversés, et ça marche assez bien.

Le réalisateur, Stéphane Lafleur, s’est inspiré d’une série de photographies de Vincent Fournier, Space Project, dans laquelle on voit des astronautes perdus dans le désert. Il s’agissait de personnes issues d’une société qui organise des simulations martiennes. L’idée de faire semblant l’a beaucoup inspiré et c’est ce qui ressort dans le film, certaines scènes sèment le doute sur ce que ressent véritablement le double. On assiste même à des dialogues qu’on qualifierait de « lunaire » si la planète rouge n’était pas si présente, comme quand la « cheffe » de mission recadre un membre d’équipage et lui demande ce qu’il ressent (je vous laisse générer automatiquement l’accent canadien dans votre cerveau) :

« À la fois de la frustration et une certaine forme de colère, répond-il sans la moindre émotion. Et toi comment tu t’sens-tu ?
– Un sentiment de puissance et de contrôle absolu, mais aussi le sentiment du travail bien fait. »

Tous les rapports humains doivent être doublés d’une auto-évaluation clinique. La première scène est l’interrogatoire psy du personnage principal qui doit répondre sans réfléchir par vrai ou faux. La vitesse à laquelle il réplique empêche toute réflexivité. Il devient capable d’analyser ses réactions physiologiques comme une machine.

En cela je trouve que le thème est moins celui du double que celui d’une ontologie proprement moderne. Les uns et les autres se scrutent, comme le spectateur de télé-réalité, et la conséquence immédiate est que chacun se scrute lui-même. Tous les matins, chaque double reçoit sur une petite imprimante un carton de son équivalent martien, sur lequel il a transcrit son humeur du jour. Qu’importe que le double soit de bonne humeur : si l’autre est chafouin, il doit être chafouin. On voit très vite que ça ne tiendra pas longtemps. Ils doivent constamment se mettre en situation, coller à l’air du temps, eine räumliche Stimmung dirait Heidegger, en faisant fi d’eux-mêmes.

La motivation du personnage principal est de « faire la différence » en aidant à résoudre les problèmes psychologiques de la véritable équipe. Cette différence qu’il cherche, c’est l’ambition de sortir du lot et de devenir lui-même astronaute, une ambition de l’ordre du rêve d’enfant qui perdure et le porte, le pousse à être plus que lui-même. Finalement, c’est l’histoire du garçon de café qui joue à être un garçon de café, il est ce qu’il n’est pas et il n’est pas ce qu’il est. Un personnage métastable comme je les aime.

Côté film en lui-même, le réalisateur avoue qu’il avait envie de faire une « face B » des films de science-fiction, « faire un film qui se prend pour un film américain, sans en avoir les moyens ». De fait, les acteurs vont et viennent du franco-canadien à l’anglo-américain, ce qui rajoute à la joyeuse étrangeté de ce film. Ils croisent deux cowboys interloqués par ces hurluberlus en combi qui tentent de dégager un quad embourbé, le responsable de la NASA leur fait des discours disproportionnés sur leur mission, bref ils se retrouvent dans un décor trop grand pour eux. Ajoutons qu’il a été tourné en 35 mm, pour ajouter un côté « analogue », selon Stéphane Lafleur, et qu’il a fait appel à l’artiste plasticien Yonkers Vidal pour créer la planète Mars, ses vidéos sont étonnantes.

Je termine par cet amusant rapprochement que ne peuvent offrir que les Canadiens : le réalisateur Lafleur dirige le comédien Laplante...
Mars Desert Research Station #7 [MDRS], Mars Society, San Rafael Swell, Utah, U.S.A., 2008 | Photo @ Vincent Fournier, https://www.vincentfournier.co.uk/

Bande-annonce


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