Le cycle de la Terre Surveillée 2 | La Flotte Mystifiée : Le Dit d'Hori | Mathilde Contreras | 2024

Par | 29/04/2025 | Lu 177 fois


Ursula K. Le Guin qui a mangé un clown...



La Flotte Mystifiée © 2024 Mathilde Contreras
Certes, c’est une bonne chose que la Galaxie soit en paix, mais… Quand on est, comme Hori, l’héritière du plus fameux Clan de combattants Irtanes, et la descendante directe de la grande Helni, la Destructrice, se retrouver capitaine d’un petit vaisseau de fret peut se révéler un brin frustrant. Aussi, lorsque les savants Folpes de la Grande Université dévoilent au monde leur formidable invention, la Surprenante Surprise, est-elle la première à en entrevoir les possibilités fantastiques. L’aventure, la gloire et l’honneur sont à nouveau à portée de main. C’est le début, pour Hori et son équipage interlope de laissés-pour-compte de la Galaxie, d’une odyssée rocambolesque, qui les conduira bien souvent là où, tout bien réfléchi, ils ne seraient sans doute pas allés.

Fiche de lecture

Dans le fourre-tout rimant et rigolo qu'on appelle la sagesse populaire, y a un proverbe qui nous interpelle vachement au niveau du vécu et du vaincu, tellement il s'applique bien à nos petites vies insignifiantes au niveau co(s)mique mais ô combien importantes quand on est au ras des pâquerettes. Lequel ? "Nul n'est prophète en son pays", bien sûr ! Ben ouais, tous ceux qui ont un tant soit peu essayé de penser en dehors de la boîte et de sortir de la quadrature du cercle de la routine et du prêt-à-penser, se sont heurtés au scepticisme de leurs proches. "Je l'ai connu en couches-culottes. C'est pas possible qu'il ait pu nous pondre une saga en 42 volumes avec style épique, retour des personnages et mécaniques à bain d'huile !" ou encore : "Je le vois encore se tartiner la mouille avec du chocolat... Comment voulez-vous qu'il ait pu engendrer une révolution épistémologico-philosophique dans mon dos ?". Ceux qui pensent te connaître le plus sont souvent les derniers à reconnaître ta valeur et la familiarité leur fout de la buée sur les fenêtres de l’âme. Même Jésus, le Fils de l'Homme, le héros super planant et rédempteur de l'humanité souffrante et déchue a dû faire face à l'incompréhension de ses frangetogommes et sœurettes au début de sa carrière de Messie avec un grand M ! Alors imagine pour tézigue avec ta tronche de quidam lambda et tes ambitions bien humaines... Eh ouais, sortir du panier de crabes familial ou du moule bien trop serré de ta bourgade natale, c’est pas une sinécure !

Et moi, l’alpha et l’oméga du gros bêta, j'ai failli dire à la prophétesse fictionnante d'aller voir là-bas si j'y étais. Moi aussi, j'ai failli commettre cette erreur de croire qu'on peut connaître absolument nos familiers parce qu'on oublie que le quotidien, ben ça peut rouiller la perspicacité et le jugement et faire prendre un pur-sang pour un percheron.

Pendant que je m’échinais à taper mon roman polargotique interstellaire, à faire de la gymnastique morpho-syntaxique et à inventer une langue française que même l’Académie Françoise voudrait refouler à la frontière, voilà-t-y pas que ma moitié, avec son flegme espagnol et son expertise du français, nous a pondu un cycle de SF qui t’emmène plus loin que la NASA et qui te secoue plus les neurones qu’un shaker en mode tremblement de terre. Et pas juste pour le voyage, hein ! Y a de quoi cogiter, se bidonner et passer un sacré bon moment. Tiens-toi-le pour dit.

L’exploit n’est pas mince, et pour pasticher un scribouillard qui a pas mal fait chauffer les perruques sous Louis XIV, je vais te le dire comme ça : "Les romans de SF de ma femme sont les meilleurs, et pas plus tard que tout de suite, nous l’allons voir tout à l’heure."

Accroche-toi à tes pinceaux, je retire l'échelle de Richter !

Le bouquin dont je vais t’entretenir ex cathedra aujourd’hui, mon biquet/ma biquette, il s’appelle La Flotte Mystifiée, et il s’inscrit dans un cycle romanesque qui en a sous le capot : La Terre Surveillée. Un opéra spatial qui sort la grosse artillerie et qui envoie du bois jusqu’à la ceinture de Kuiper, avec plus de bastons cosmiques et de manigances interstellaires que dans un banquet de la mafia vénusienne. Un machin qui filerait des étoiles plein la rétine à Edmond Hamilton, et qui ferait tourner la tête à une supernova.

"De quoi ça cause ?" me demanderas-tu, en feignant d’être autre chose qu’un procédé littéraire habilement placé pour me permettre de continuer mon monologue. Et moi, malin comme un singe savant, de ne pas te répondre directement, mais de te glisser une énallage en douce, avant de refiler le crachoir à l’autrice :

"Certes, c’est une bonne chose que la Galaxie soit en paix, mais… Quand on est, comme Hori, l’héritière du plus fameux Clan de combattants Irtanes, et la descendante directe de la grande Helni, la Destructrice, se retrouver capitaine d’un petit vaisseau de fret peut se révéler un brin frustrant. Aussi, lorsque les savants Folpes de la Grande Université dévoilent au monde leur formidable invention, la Surprenante Surprise, est-elle la première à en entrevoir les possibilités fantastiques. L’aventure, la gloire et l’honneur sont à nouveau à portée de main. C’est le début, pour Hori et son équipage interlope de laissés-pour-compte de la Galaxie, d’une odyssée rocambolesque, qui les conduira bien souvent là où, tout bien réfléchi, ils ne seraient sans doute pas allés."

Balancé comme ça, ça a pas grand sens, alors je vais un peu t’expliquer de quoi il en retourne. Dans l’univers de notre écrivaine (« lore » en novlangue oncle-samisée), il y a une saleté de race humanoïde qui a pour blaze Gh’é’en. Une engeance qui, en matière de saloperie cosmique, se pose un peu là : ces braves gens tiennent du croque-mitaine, du Grand Inquisiteur et de la Schutzstaffel en même temps. Des cador du carnage, des stakhanovistes du sacrifice humain, des VRP de l’horreur qui ouvrent des succursales de Baal et de Moloch sur toutes les planètes où ils posent leurs grosses pattes poilues et crochues. Leur régime alimentaire, à ces tristes zigues ? De la souffrance humanoïde servie saignante avec rab de cris d’agonie. Ils ont tellement foutu le boxon dans le silence des espaces infinis où on t’entend pas gueuler comme un putois que même le vide spatial en a eu des sueurs froides. Et les peuples qui ont croisé leur chemin ? Ils en ont gardé des cicatrices jusque dans leur génome, au point que leurs descendants en ont les chromosomes qui sursautent au moindre bruit bizarre.

Mais heureusement, par tout un tas d’événements et de retournements de situation que j’ai pas le temps de te conter par le menu, les Irtanes, c’est-à-dire la race à laquelle appartient la capitaine Hori, ont réussi à mornifler dans les grandes largeurs ces Gh’é’en impies et presque réussi à les faire disparaître.

Et là, au début de ce récit que propose-t-on à Hori et à son équipage bigarré et bagarreur ? Remonter le courant du Sablier du Temps à la nage et plus vite que la lumière pour débarrasser une bonne fois pour toutes la Galaxie de ces odieux Gh’é’en.

Transpose ça dans ton paradigme de petit postmoderne insignifiant et tu comprendras ce qu’on propose à nos héros. Imagine un peu : des gnaces en blouse blanche qui noircissent des tableaux avec des équations ont pondu une machine à effacer les erreurs du passé, une gomme quantique pour virer les horreurs de l’histoire. Et là, ils viennent te voir et te proposent un petit voyage dans le temps avec pour mission d’annihiler un moustachu monotesticulaire qui roule les "R" en allemand du sud ou un Spirou des ténèbres qui sifflote en russkof tout en remplissant son death note. Un truc à signer des deux mains, même sans bras, en résumé.

Presque exterminer les Gh’é’en, c’est bien. Faire en sorte qu’ils n’aient jamais existé, c’est mieux.

Mais voilà, mon canard, on est dans un roman ! Et un roman, ça vaut pas plus qu’un pastis sans flotte, s’il n’y pas des obstacles à la pelle, des emmerdements en escadrille et des péripéties à la tonne. Alors forcément, le beau plan va vite fait partir en vrille, les étoiles vont se mettre à tanguer, et nos protagonistes vont vivre une aventure dont ils se souviendront tous. Bref, ça va barder dans le firmament et plus haut encore, et toi, t’auras qu’à t’installer peinard avec ton bouquin et regarder le feu d’artifice.

Bon, je pourrais, comme les démons de minuit, t'entraîner jusqu’au bout de la nuit en te baratinant sur les mille et une qualités de ce bijou de fiction spéculative et futuriste, mais comme je suis un gars bien élevé et que j’ai déjà été au restaurant, je vais éviter le service à rallonge et te la faire courte, façon ristretto intergalactique.

Déjà, mon gaillard, ma poulette, toi qui rêves d’exotisme pendant que ton taf d’esclave moderne t’oblige à faire la navette entre le point A et le point B aux pires heures de la journée, accroche-toi à ton fauteuil en skaï râpé, parce que La Flotte Mystifiée va te téléporter dans un ailleurs où même Google Maps jette l’éponge. Mathilde Contreras, elle a bien potassé ses classiques, et comme une digne disciple d’Ursula K. Le Guin, elle a pigé que les civilisations, c’est comme des tables de mixage : chaque peuple bidouille ses potards à sa sauce, et ce qui fait marrer les uns fait hurler les autres.

Alors, oublie les extraterrestres caricaturaux qui jaffent des hamburgers et qui jasent en néo-anglais avec un accent d’assureur texan qui mâche un chewing-gum. Ici, c’est pas un vulgaire space-opéra sous stéroïdes yankees, c’est du ciselé, du raffiné, du smörgåsbord anthropologique. Irtanes, Guls, Ramtis, Narques, Folpes… Une vraie ménagerie cosmique, chacun avec ses tocs, ses travers et ses traditions plus ou moins ragoûtantes. Et la taulière, Mathilde Contreras, elle a pas fait semblant : elle a joué les Margaret Mead de l’espace, et crois-moi, son ethnologie interstellaire, elle est aussi solide que de l’osmium.

Résultat ? Un univers dense, foisonnant, bordélique mais addictif, où chaque peuple te fait reconsidérer ta petite vie bien rangée et même réfléchir sur l’arbitraire de nos us et coutumes.

Mais notre génératrice d’intrigues, avec son blase qui fleure bon la paella bien dorée et le flamenco qui claque, elle a compris la recette qui tabasse : le mélange. Et crois-moi, dans la tambouille qu’elle nous mijote, le tout est vachement supérieur à la somme de ses parties.

T’as de l’épique en plat de résistance, du comique en amuse-gueule, du tragique en digestif et même une lichette d’érotisme pour relever le tout – et c’est pas du vinaigre de supermarché. Tout ça, ça fuse, ça s’enlace, ça copule entre les lignes, et ça donne pas dans le fade ni dans le tiédasse. Dit comme ça, t’as peut-être l’impression que ça va donner des reflux gastriques à tes synapses, mais une fois dedans, ça file comme un verre de Rioja ou de Málaga sur une table bien mise.

T'attends pas à de l'imbitable ou de l'emberlificoté. Ça a le goût de l'évidence et t'en redemanderas. Et moi, j'arrête là ma métaphore culinaire et filée. Sous des atours simples, c'est complexe. Sous des dehors rigolards, ça fait réfléchir.

Ça à l'air foutraque mais c'est architecturé au millimètre. Et c’est là qu’on reconnaît les cadors de l’imaginaire, les ciseleurs de récits, ceux qui te prennent par la main et t’embarquent sans jamais te lâcher la pogne.

Ça fait moins de 500 pages, mais j’aurais pu m’en enquiller 3000 tranquillement. Si tu te laisses tenter par La Flotte Mystifiée, je te parie ma dernière cartouche d’astérogitanes que tu finiras dans le même état que moi : accro, heureux, et prêt à en redemander.

Tu l'auras compris, après lecture de ce morcif de SF, je me suis rendu compte que j'avais eu tort de pas lire plus tôt les livres de ma chère et tendre, parce que là, c'est de la saga galactique (à lire sans s'emmêler la menteuse...) de haut vol. De quoi vous expédier au septième ciel du lecteur. Une espèce de mélange hyper réussi entre Ursula K. Le Guin et Terry Pratchett, une fusion des codes de l'épopée homérique avec ce qu'il faut de burlesque, d'action, et de titillant. C'est vraiment unique en son genre et ça gagne à être connu.

Si la señora Contreras était ricaine, on aurait déjà des drones Amazon qui balanceraient ses bouquins sur ta tronche et des critiques subventionnés par Bolloré qui lui tresseraient des couronnes de lauriers dématérialisées. Mais c’est une fransquillonne auto-éditée, alors faut pas trop en demander... C’est là que toi, lecteur avisé et nanti de quelques pépettes, tu peux entrer dans la légende. T’as deux sous de jugeote et un peu de grisbi à claquer ? Alors fonce t’offrir La Flotte Mystifiée. En plus d’en prendre plein les mirettes, tu pourras te la jouer grand seigneur en soirée : « Moi, je l’ai lue quand elle était encore dans l’ombre ». Ça fera son petit effet.

Mais qu’est-ce que tu fous encore là ? C’est pas en lambinant que la galaxie va être sauvée ni que les auteurs en or vont sortir de leur trou noir ! Allez, zou, action-réaction, et ouvre ton lazingue en grand pour te procurer La Flotte Mystifiée !


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