Copyright @ 2021 Le Galion des Etoiles | Le Tiroir interdit de Robert Yessouroun
Au bout de son mĂ©nage, ce matin-lĂ , dans la chambre de madame quâil venait dâaĂ©rer, lâandroĂŻde Nestor ouvrit le tiroir de la table de chevet. Ultime programme : nettoyer peigne et brosse de la magistrate. Or, surprise, Ă cĂŽtĂ© des deux objets de toilette, il dĂ©couvrit un revolver couleur inox. BalayĂ© par le scan, lâarme fut rapidement identifiĂ©e comme un Smith & Wesson modĂšle 627 Pro, 1 kg 17, calibre .357 Magnum, barillet 8 coups.
DĂ©bordĂ© de calculs, le robot referma lentement le tiroir, non sans avoir lustrĂ© le peigne et la brosse. Puis, il repĂ©ra la prĂ©sence sous le lit dâun post-it orange, probablement dĂ©portĂ© par un courant dâair. DâoĂč cet autoadhĂ©sif sâĂ©tait-il dĂ©collĂ© ? Sur le mini-billet, un griffonnage de madame (Ă lâintention de Nestor ?) : « tiroir interdit ».
Nestor Ă©plucha le premier problĂšme : venait-il dâoutrepasser une consigne de sa maĂźtresse ? La rĂ©ponse fut simple : si oui, lâerreur ne venait pas de son systĂšme dâexploitation. Il refixa le post-it orange sur le tiroir et passa donc au problĂšme suivant.
Alors, tous ses processeurs sâemballĂšrent. En sifflement, ses calculs grouillaient, telle une fourmiliĂšre alarmĂ©e. Lâobjet repĂ©rĂ© dans le tiroir sâavĂ©rait potentiellement lĂ©tal. Ne pas agir contrevenait Ă ses algorithmes moniteurs. Selon la directive majeure de ces derniers, un androĂŻde ne pouvait causer du mal Ă un ĂȘtre humain, ni par son inaction laisser un humain causer du mal Ă son semblable. Impossible de continuer la journĂ©e comme si de rien nâĂ©tait.
Madame prenait encore son bain. Elle avait bien besoin de dĂ©tente : juge, elle recevait rĂ©guliĂšrement des messages de menaces. Pourtant, malgrĂ© ce contexte hostile, jamais Nestor nâavait supposĂ© quâelle cachait une arme de poing dans sa chambre. Bon, Ă la dĂ©charge de son serviteur artificiel, elle ne devait pas se lâĂȘtre procurĂ©e avant le dĂ©but de cette semaine.
Cela dit, quâen faire ? Lâignorer ou pas ? Bien sĂ»r, cette chose pour blesser, voire tuer, pouvait ĂȘtre simplement dissuasive. Mais, selon les statistiques, un accident arrivait si vite dans le stress dâune agression.
Bref, il ne pouvait laisser dormir le Smith & Wesson dans le tiroir. Comment donc se dĂ©barrasser de ce revolver ? Le jeter dans le fleuve ? Non. Ce serait ajouter Ă la pollution. Lâenterrer ? Idem. Le balancer dans le container des ordures ? Mais si, fortuitement, un SDF fouineur lây dĂ©nichait ?... Restait le remettre Ă la police ? AĂŻe ! Complications garanties. Quoi quâil en soit, si, dĂ©munie de ce moyen de dĂ©fense, madame Ă©tait sauvagement attaquĂ©e, comment la protĂ©ger ? Naturellement, Nestor pourrait se switcher en mode garde du jour et nuit, son torse devenu le bouclier de sa maĂźtresse, ce qui rendrait lâarme Ă feu superflue.
Toutefois, les calculs subsidiaires conclurent que le robot nâavait pas le droit de voler sa propriĂ©taire, donc de lui dĂ©rober le revolver. Tout incriminable fĂ»t-elle, lâarme devait demeurer dans le tiroir. Surtout quâelle reposait en territoire interdit. DĂ©libĂ©ration terminĂ©e.
Cependant, en dĂ©pit de ces considĂ©rations, rien nâexcluait que lâobjet adoptĂąt une forme inoffensive. Aussi, Nestor dĂ©monta-t-il le Magnum en un maximum de piĂšces dĂ©tachĂ©es. Son moniteur central le congratula.
Peu aprÚs, madame apparut dans son peignoir noir assorti à sa chevelure cosmique. Sa mine pùle semblait tendue, préoccupée. Elle interpella son domestique :
â Une hacker moscovite en demande dâasile va sonner Ă la porte dans moins dâune heure. Peux-tu lui prĂ©parer son lit dans la chambre dâami ? TraquĂ©e par les services secrets russes, elle risque sa vie et jâai promis Ă la chancellerie de lâabriter quelques jours, en douce, chez moi.
â TrĂšs bien, madame.
â Ah, autre chose, Nestor. AprĂšs lâarrivĂ©e de ma protĂ©gĂ©e, ne laisse entrer personne, sous aucun prĂ©texte ! Et surveille le jardin. Ăcarte de la villa tout rĂŽdeur, tout visiteur. En cas dâintrusion, alerte-nous sur le champ !
Comme tout robot de sa gĂ©nĂ©ration, Nestor connaissait lâerreur, mais pas la honte, ni la culpabilitĂ©. Il Ă©tait donc incapable de sâexcuser, de se faire pardonner. En morcelant lâarme, il avait certes agi dans lâignorance de donnĂ©es rĂ©centes, mais conformĂ©ment Ă ses codes digitaux. Allait-il reconstituer le Smith & Wesson ? Allait-il le charger Ă blanc ?
â Houc⊠Tir⊠tir⊠tiroir⊠HacâŠ
On aurait dit que lâandroĂŻde subissait une crise de hoquet. Avec de bons instruments, on aurait dĂ©celĂ©, au milieu de chaque Ă©paule, une surchauffe avec un fil de vapeur. Aussi, le dĂ©tecteur de fumĂ©e arrosa la chambre de madame et la domotique appela les pompiersâŠ
DĂ©bordĂ© de calculs, le robot referma lentement le tiroir, non sans avoir lustrĂ© le peigne et la brosse. Puis, il repĂ©ra la prĂ©sence sous le lit dâun post-it orange, probablement dĂ©portĂ© par un courant dâair. DâoĂč cet autoadhĂ©sif sâĂ©tait-il dĂ©collĂ© ? Sur le mini-billet, un griffonnage de madame (Ă lâintention de Nestor ?) : « tiroir interdit ».
Nestor Ă©plucha le premier problĂšme : venait-il dâoutrepasser une consigne de sa maĂźtresse ? La rĂ©ponse fut simple : si oui, lâerreur ne venait pas de son systĂšme dâexploitation. Il refixa le post-it orange sur le tiroir et passa donc au problĂšme suivant.
Alors, tous ses processeurs sâemballĂšrent. En sifflement, ses calculs grouillaient, telle une fourmiliĂšre alarmĂ©e. Lâobjet repĂ©rĂ© dans le tiroir sâavĂ©rait potentiellement lĂ©tal. Ne pas agir contrevenait Ă ses algorithmes moniteurs. Selon la directive majeure de ces derniers, un androĂŻde ne pouvait causer du mal Ă un ĂȘtre humain, ni par son inaction laisser un humain causer du mal Ă son semblable. Impossible de continuer la journĂ©e comme si de rien nâĂ©tait.
Madame prenait encore son bain. Elle avait bien besoin de dĂ©tente : juge, elle recevait rĂ©guliĂšrement des messages de menaces. Pourtant, malgrĂ© ce contexte hostile, jamais Nestor nâavait supposĂ© quâelle cachait une arme de poing dans sa chambre. Bon, Ă la dĂ©charge de son serviteur artificiel, elle ne devait pas se lâĂȘtre procurĂ©e avant le dĂ©but de cette semaine.
Cela dit, quâen faire ? Lâignorer ou pas ? Bien sĂ»r, cette chose pour blesser, voire tuer, pouvait ĂȘtre simplement dissuasive. Mais, selon les statistiques, un accident arrivait si vite dans le stress dâune agression.
Bref, il ne pouvait laisser dormir le Smith & Wesson dans le tiroir. Comment donc se dĂ©barrasser de ce revolver ? Le jeter dans le fleuve ? Non. Ce serait ajouter Ă la pollution. Lâenterrer ? Idem. Le balancer dans le container des ordures ? Mais si, fortuitement, un SDF fouineur lây dĂ©nichait ?... Restait le remettre Ă la police ? AĂŻe ! Complications garanties. Quoi quâil en soit, si, dĂ©munie de ce moyen de dĂ©fense, madame Ă©tait sauvagement attaquĂ©e, comment la protĂ©ger ? Naturellement, Nestor pourrait se switcher en mode garde du jour et nuit, son torse devenu le bouclier de sa maĂźtresse, ce qui rendrait lâarme Ă feu superflue.
Toutefois, les calculs subsidiaires conclurent que le robot nâavait pas le droit de voler sa propriĂ©taire, donc de lui dĂ©rober le revolver. Tout incriminable fĂ»t-elle, lâarme devait demeurer dans le tiroir. Surtout quâelle reposait en territoire interdit. DĂ©libĂ©ration terminĂ©e.
Cependant, en dĂ©pit de ces considĂ©rations, rien nâexcluait que lâobjet adoptĂąt une forme inoffensive. Aussi, Nestor dĂ©monta-t-il le Magnum en un maximum de piĂšces dĂ©tachĂ©es. Son moniteur central le congratula.
Peu aprÚs, madame apparut dans son peignoir noir assorti à sa chevelure cosmique. Sa mine pùle semblait tendue, préoccupée. Elle interpella son domestique :
â Une hacker moscovite en demande dâasile va sonner Ă la porte dans moins dâune heure. Peux-tu lui prĂ©parer son lit dans la chambre dâami ? TraquĂ©e par les services secrets russes, elle risque sa vie et jâai promis Ă la chancellerie de lâabriter quelques jours, en douce, chez moi.
â TrĂšs bien, madame.
â Ah, autre chose, Nestor. AprĂšs lâarrivĂ©e de ma protĂ©gĂ©e, ne laisse entrer personne, sous aucun prĂ©texte ! Et surveille le jardin. Ăcarte de la villa tout rĂŽdeur, tout visiteur. En cas dâintrusion, alerte-nous sur le champ !
Comme tout robot de sa gĂ©nĂ©ration, Nestor connaissait lâerreur, mais pas la honte, ni la culpabilitĂ©. Il Ă©tait donc incapable de sâexcuser, de se faire pardonner. En morcelant lâarme, il avait certes agi dans lâignorance de donnĂ©es rĂ©centes, mais conformĂ©ment Ă ses codes digitaux. Allait-il reconstituer le Smith & Wesson ? Allait-il le charger Ă blanc ?
â Houc⊠Tir⊠tir⊠tiroir⊠HacâŠ
On aurait dit que lâandroĂŻde subissait une crise de hoquet. Avec de bons instruments, on aurait dĂ©celĂ©, au milieu de chaque Ă©paule, une surchauffe avec un fil de vapeur. Aussi, le dĂ©tecteur de fumĂ©e arrosa la chambre de madame et la domotique appela les pompiersâŠ
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Texte @ Robert Yessouroun, tous droits réservés