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La Nuit de la dernière Année | Southeast Jones | 2019


Une fiche ajoutée dans nos cales par | 15/01/2022 | Lu 404 fois





Copyright @ 2022 Southeast Jones | La Nuit de la dernière Année
Quand depuis 2012, vous attendez chaque année que la fin du monde, l’Armageddon, l'Apocalypse, se produise, mais que vous gardez encore espoir que ce ne soit pas l'humanité elle-même qui fiche tout en l'air... que vous reste-t-il ? Votre imagination ! 
 

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La Nuit de la dernière Année

- Il est minuit ! lança Georges. Je nous souhaite à tous une bonne année et une joyeuse fin du monde !

- Nous en sommes à combien, pouffa Prune ? Dix ? Quinze ?

- Une vingtaine, répondis-je. Nous faisons notre petite fête depuis presque trente ans, tu te rappelles la première ?

- 2012, la prophétie maya ! intervint Nicky.

- C’est ça ! On attend encore, s’esclaffa Georges. Je ne me souviens plus trop qui avait eu cette idée saugrenue, il y avait eu un de ces foins autour de ces fameuses prédictions ! Nous étions bien plus à l’époque.

- Une vingtaine, il me semble ; un barbecue monstrueux ! Chacun avait apporté ses bouteilles, nous faisions tellement de boucan que les flics sont intervenus quatre, non, cinq fois !

- Et ils ont fini par rouler sous la table avec la plupart d’entre nous, dit Prune en vidant son verre ; faut dire aussi qu’on avait bien corsé le punch.

Elle plissa le nez :

- Au passage, celui-ci est un peu trop léger. Tu disais une vingtaine ?

- Oui, entre les annonces de catastrophes majeures, les chutes d’astéroïdes, les super volcans, et toutes ces prophéties plus ou moins religieuses, je ne dois pas être très loin du compte. J’ai quand même flippé lors de la crise avec la Corée du Nord ; si la Chine n’avait pas retourné sa veste au dernier moment, nous ne serions sans doute plus là à plaisanter.

- Ouais, grave ! reprit Prune en piquant une olive. Personne n’en menait large. Y’a quand même eu une sacrée vague de suicides, je suis la seule à y avoir prêté attention et pensé ?

Un ange passa, je me souviens que nous avions abordé le sujet, mais elle était la seule à avoir préparé un cocktail de médicaments « au cas où ». Quand vers quatre heures du matin, nous avions appris que les Nord-Coréens avaient détruit leurs missiles, elle avait fondu en larmes. J’avais été tenté aussi ; peut-être aux yeux de certains, aurions-nous pu passer pour des lâches, mais quiconque a vu les films d’archives sur les survivants de l’holocauste nucléaire d’Hiroshima et Nagasaki doit admettre qu’il vaut mieux mourir tout de suite plutôt que d’agoniser lentement rongé par les radiations. Six missiles à tête multiple ! J’eus un frisson rétrospectif et levais timidement la main. Prune ne dit rien, Nicky me regarda avec des yeux ronds, l’air de ne pas y croire, tandis que Georges remplissait nos verres avec une tête pas possible.


* * *

- Est-ce bien la seule fois où nous y avons cru, au point de commettre l’irréparable ? Repris-je.

- En ’30, peut-être, souffla Georges, lorsqu'ils ont réussi à créer le premier trou noir, y a eu une belle panique aussi, il a fallu presque douze heures avant qu’il ne s’évapore !

- Tout était soi-disant sous contrôle, tu parles ! La zone autour du super LHC avait quand même été évacuée dans un rayon de cent cinquante kilomètres. Je me demande combien de fois nous avons réellement échappé de justesse à la mort. Prune, toi qui es journaliste, qu’en dis-tu ?

- J’en dis que nous serions sans nul doute les derniers avertis, et que s’il n’y avait ne serait-ce que l’ombre d’une chance que quelques-uns en réchappent, vous pouvez être certains que nous ne ferions pas partie du lot. Cette conversation m’ennuie, elle devient lugubre. Si nous revenions à nos conneries?

- Si nous le voulions, repris-je, nous pourrions nous réunir plusieurs fois par an, il ne se passe pas trois mois sans qu’un imbécile n’annonce la fin du monde, mais bon, faut bien faire des choix ! Aujourd'hui, je vous propose un Armageddon, avec retour du christ et tout le tralala qui va avec, ainsi qu’un essaim de micrométéorites au sein duquel se cacherait un très, très gros caillou… Faites votre choix ! Les paris sont ouverts ! Maintenant, je ne sais pas vous, mais moi, j’ai faim !

Nous passâmes à table avec la ferme intention de faire un sort aux diverses pâtisseries qui restaient du repas du soir et Georges fit le service, le ton était maintenant plus léger. Un peu pompette, Nicky picorait, elle nous aida néanmoins à casser la figure à trois bouteilles de Monbazillac, nous dormirions plus tard. Demain sans doute ! Le loto avait fait de nous des nantis et nous avions tous arrêté de travailler cinq ans plus tôt, après tout, nous étions presque pensionnés. La vie était belle, chaque jour ou presque était un jour de fête et nous comptions bien profiter de chacun d’entre eux. Bien sûr, personne ne croyait que la fin du monde fût pour aujourd'hui. Et quand bien même ce serait, n’était-il pas plus agréable de passer les dernières heures entre amis ?

Prune et Georges, Nicky et moi, c’était tout comme : mariés le même jour, nous avions été nos témoins respectifs. Et quand même, une amitié de près de quarante ans, ça forçait le respect ! Nous étions si souvent réunis qu’on eut pu nous croire de la même famille. 2012 avait été une première, le monde avait continué de tourner, pas toujours très rond, mais nous étions encore là, ensemble, pour le pire et le meilleur. J’ai toujours pensé que ce ne serait pas Dieu, ou la nature, ou même un géocroiseur qui causerait notre disparition, mais bien l’homme et sa folie. Qu’importe le moyen : le feu nucléaire, la guerre bactériologique, ou plus vraisemblablement la destruction de notre environnement, la machine était en route, et rien ne pourrait l’arrêter. Nous n’avions tous qu’un vœu : celui de ne plus être là lorsque cela arriverait. Guillerets, nous retournâmes nous installer dehors.

- Alors tu as choisi ?

- Pardon ? Excuse-moi Georges, je pensais à autre chose, dis-je en souriant. Je verrais bien les météores, et toi ?

- Pareil pour tout le monde à mon avis. J’ai allumé le brûle-tout, j’ai rarement vu un hiver aussi doux, mais la température commence à fraîchir. Prune a fait du vin chaud, tu en veux ?

- Je préférerais du café s’il en reste, sinon ça fera l’affaire. Où sont les filles ?

Il m’indiqua les relax de la tête et je souris, Nicky sommeillait emmitouflée dans une couverture, tandis que Prune fredonnait les yeux fermés en écoutant ses sempiternelles chansons d’amour sur son MP6. Nous installâmes le télescope, le ciel était dégagé, s’il devait se passer quelque chose, nous ne devrions pas le manquer. Nous nous installâmes confortablement et nous trinquâmes avec nos tasses de vin chaud. Les parois du brûle-tout rougeoyaient faiblement, nous étions bien. Nicky dormait maintenant à poings fermés, j’en profitais pour accepter le cigare que me présenta Georges, elle ne supportait pas que je fume.

La nuit était calme et le ciel limpide, pas même l’ombre d’une étoile filante, où était donc ce foutu essaim ? Pour tromper l’ennui, je pris quelques clichés de la Lune. Vers quatre heures du matin, je commençai à envisager de réveiller tout le monde – Georges et Prune avaient fini par s’assoupir– lorsque quelque chose changea. C’était très subtil, il flottait dans l’air comme un parfum de roses, vint ensuite la musique, une mélodie aux accents beaux et tragiques, semblant venir de partout et nulle part à la fois, et allant crescendo. Je frissonnai, à celle des roses, venait de s’ajouter une odeur piquante qui me fit froncer le nez, il ne me fallut que quelques secondes pour l’identifier : c’était celle de l’ozone.

J’eus un désagréable pressentiment : quelque chose allait se passer. J’hésitais encore à réveiller les autres pour ce qui n’était peut-être qu’un effet de mon imagination embrumée par l’alcool. Prune ouvrit soudain les yeux et décida pour moi. Personne ne disait rien, nous étions partagés entre crainte et incrédulité. La musique – indubitablement celle d’un grand orchestre – était maintenant suffisamment puissante pour avoir réveillé d’autres personnes. La lumière s’allumait dans la plupart des maisons de nos rares voisins, certains étaient déjà dans leur jardin.


* * *

Quelque chose passa soudain dans le ciel pour s’arrêter brusquement en plein milieu de sa course, je plongeai vers le télescope, d’autres objets apparurent, défilant en rangs serrés et réguliers, bien trop réguliers pour que ce phénomène pût être qualifié de naturel. L’étrange manège dura près de deux heures et s’arrêta aussi brusquement qu’il avait commencé. Les choses dans le ciel semblaient gigantesques, des vaisseaux spatiaux ? La musique était assourdissante, l’odeur de rose était maintenant à la limite du supportable, il me semblait aussi entendre des rires et des bribes de conversations, et ces mots que je ne comprenais pas résonnaient dans ma tête, lourds d’une terrible et indicible menace.

Soudain, le silence se fit et le ciel s’entrouvrit, cependant que des mains immenses commençaient à ramasser les arbres, les maisons et les voitures, tandis qu’autour de nous, le monde s’effaçait. Nous restâmes là, figés de stupeur alors que les accessoiristes démontaient le décor et que dix milliards de voix hurlaient de terreur.

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