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Badass Cop & Dolphin | Tome 1 | Ryuhei Tamura | 2019

10/03/2022
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Version française | Éditions KazĂ© | 2022
Boyle Samejima est un flic qui aime l'action en mode badass. Seul problĂšme : ses mĂ©thodes sont rarement approuvĂ©es par ses supĂ©rieurs ! Suite Ă  un Ă©niĂšme dĂ©rapage, cet Ă©nervĂ© de la gĂąchette est mis au placard dans un archipel perdu au milieu de l'ocĂ©an Pacifique. Lui qui pensait se dorer tranquillement la pilule au soleil se retrouve chargĂ© d'enquĂȘter sur le mystĂ©rieux culte de la mer : une secte guidĂ©e par une jeune oracle de cinq ans... Et ce n'est pas tout, pour rĂ©soudre l'enquĂȘte, il doit faire Ă©quipe avec... un dauphin !

Note

Ce manga est constitué de 5 volumes parus originalement entre 2019 et 2021. Le premier tome en français est édité depuis janvier 2022.

Fiche de lecture

Le ShĂŽnen, avec son type d’amĂ©nagement Ă©ditorial centrĂ© sur les adolescents fĂ©rus de Mangas aux principes forts, rĂšgle ses codes en les conservant dans une impression constante de dĂ©jĂ -vu. Mais parfois l’exception confirme la rĂšgle, l’on se confronte Ă  des Ɠuvres s’en jouant, soit avec finesse, soit d’une maniĂšre exagĂ©rĂ©e (et assumĂ©e) dans ce qu’elles ont de plus dĂ©concertant. C’est le cas avec Badass Cop & Dolphin.
 
« Je suis un flic qui aime l’action en mode Badass »
« Je fais équipe avec un Dauphin »
 
La rĂ©initialisation se conçoit ici par l’entremise d’un ton qui dĂ©note, ce qui constitue une exaltation auprĂšs du lecteur assidu. Cette imagerie exubĂ©rante explore une plongĂ©e dans l’irrĂ©alitĂ© absolue, mais pas n’importe comment. Comme de coutume l’humour s’adjoint de connotations semi-Ă©rotiques et frivoles sur des cadrages osĂ©s du genre fĂ©minin sans ĂȘtre offensant. Le comique grossier s’étire sur une sorte de pilotage automatisĂ© du potache d’envergure avant de puiser l’essentiel de son message dans un guide assouvi par la dĂ©mesure de celui qui l’écrit.

Des lignes apparaissent rĂ©guliĂšres avant qu’elles ne chassent un naturel convenu pour mieux dĂ©velopper son Ă©trangetĂ©. Cependant l’effort artistique de Ryuhei Tamura s’accomplit par la particularitĂ© d’un horizon inĂ©dit en faveur de personnages aux atouts caricaturaux, puis adoucis d’une vision calme et familiĂšre de l’effort philanthropique et le respect d’autrui que le ShĂŽnen adopte ; des pauses d’oxygĂ©nation qui apaisent par petites touches le vocabulaire surnaturel rencontrĂ© sur cette Ăźle du Pacifique oĂč tout ne se passe pas comme prĂ©vu.

Tout dĂ©bute avec la prĂ©sentation d’une contrefaçon de l’agent de police Boyle Samejima. L’officier, obligĂ© Ă  cause de ses maniĂšres rĂ©actionnaires de changer d’environnement, draine ses idĂ©aux d’incorruptible Ă  la limite de l’insubordination au cƓur de l’archipel d’Ogasawara. Du moment oĂč le flic « Badass » de Tokyo est mutĂ© dans un commissariat en prenant compte d’un nouveau coĂ©quipier qui n’est rien d’autre qu’un « dauphin hominidĂ© », la forme et le fond symbiose alors la clĂ© de voute de son sujet : « ce qui vient du fond des mers doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une menace mutagĂšne ».
 
De l’intĂ©rieur de l’ocĂ©an bon nombre de dangers existe et les situations fantastiques, trĂšs visuelles, aident Ă  accepter l’inconcevable. Le dessin Ă©purĂ© de Ryuhei Tamura utilise la technique de la ligne claire, sa maitrise Ă  capter l’essentiel des espaces, urbains et campagnards, dĂ©clenche dans les scĂšnes d’actions une visibilitĂ© et une comprĂ©hension indĂ©niable ; la fluiditĂ© bien sentie.de son trait de dessin obtient un dĂ©sir qui se prolonge (sans faillir) de la premiĂšre page jusqu’à la derniĂšre.
 
« Tout doux Cthulhu »
 
Si l’espace Ă©crase l’infiniment petit de l’existence humaine face Ă  des entitĂ©s cĂ©lestes chez HP Lovecraft, l’auteur de Badass Cop & Dolphin s’en excuse en usant de son empreinte cosmique, en la plongeant Ă  l’intĂ©rieur d’un ocĂ©an trouble et inexplorĂ© et souvent distanciĂ© Ă  la peur qu’elle devrait susciter. L’élĂ©ment liquide anime le point vital des histoires, de ce qui s’en associe, de ce qui en Ă©merge. Les courtes missions qu’accomplissent le duo de flics s’attachent Ă  montrer la banalitĂ© de leurs interventions au-devant d’affaires surrĂ©alistes acceptĂ©es par tous comme si elles Ă©taient normales.
 
Parfois l’on voit une rĂ©fĂ©rence Ă©vidente dans une perspective de louange Ă  un style lovecraftien marquĂ©. DĂšs qu’une crĂ©ature tentaculĂ©e le dĂ©termine par un aspect dĂ©cidĂ© Ă  l’exprimer ainsi, L’on se focalise Ă  cette idĂ©e pour comprendre progressivement qu’il y a volontairement une duperie par un changement d’atmosphĂšre. L’interprĂ©tation par la perception personnelle de cet univers relance constamment une interrogation chez le lecteur lui refusant une identification concrĂšte car, Badass Cop & Dolphin n’est pas une pĂąle copie de ce qu’il honore explicitement. Le manga trace sa voie la faisant unique.
 
« Bien jouĂ©, Same !! T’as fait du tartare de poulpe ! »
« Et d’abord, tu pourrais commencer par arrĂȘter d’amener ta gamine au travail. »
 
La stupĂ©faction vient d’une narration limpide provenant d’ĂȘtres qui ne le sont pas. Il n’y a aucun compromis, pas d’explication possible dans ce premier volume. La petite fille du nom de Shako, sauvĂ©e et adoptĂ©e par Horpheus, le flic Dauphin, d’une secte (le culte de la mer) la prenant pour un oracle, encercle la dramaturgie si spĂ©ciale par son Ă©nigmatique attitude. Sa rafraichissante personnalitĂ© dĂ©tĂ©riore toute impression de nĂ©gativitĂ© pouvant surgir de tant de tĂ©nĂšbres liĂ©e aux « monstres » de la mer. Sous son extraordinaire pouvoir le Badass se fait souvent humilier, pour rire, et le Dauphin complĂšte sa caractĂ©ristique d’ange protecteur. L’archipel oĂč elle vit est comme une chambre gĂ©ographiquement immense sujet Ă  ses expĂ©riences de jeux.
 
« Autrement dit, 95% des animaux marins nous sont totalement inconnus ! »
 
Sur cette Ăźle isolĂ©e de l’archipel d’Ogasawara de 1800 habitants, fictive, imaginaire, le crĂ©ateur parvient Ă  accorder plusieurs genres en les mĂ©langeant dans un check-up rĂ©solument hasardeux. On passe d’actions routiniĂšres Ă  celles dont la paranormalitĂ©, abasourdie, excĂšde, voir dĂ©connecte de l’effet « horreur cosmique » sous-exploitĂ© pour communiquer sur d’autres dimensions tout aussi intrigantes. On relĂšve la caractĂ©ristique d’un territoire et des agissements mystĂ©rieux de sa population comme dans la sĂ©rie Twin-Peaks, des bestioles « poulpeuses » de chez Lovecraft, des lĂ©gendes japonaises en relation avec les fonds sous-marin, des faits divers de problĂšmes simples de voisinage ou de voirie. Le ton y est absurde et humoristique et on s’amuse beaucoup Ă  lire les pĂ©ripĂ©ties de ces interactions magiques ou rĂ©elles s’écoulant comme l’eau du robinet sur autant d’intrigues que d’illustration Badass et irracontables.

Un pur rĂ©gal, bancal mais suffisamment intĂ©ressant pour patienter jusqu’au deuxiĂšme volume.

Copyright @ Philippe André pour Le Galion des Etoiles. Tous droits réservés. En savoir plus sur cet auteur